A la recherche des meilleures
lignées dabeilles
Troisième Voyage (1)
Publié en français dans
La Belgique Apicole, 25(10) 1961, p262-268. avec leur permission. Original in the Bee World, 42, may 1961. |
[ Original in English ]
[ Retour à la Biblio ] [ Premier voyage 1950 ] [ Second voyage 1952 ] [ Conclusions des voyages 1964 ] |
par le Frère ADAM, O.S.B.
Abbaye St Mary, Buckfast, South Devon – Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Uccle, Belgique |
La Péninsule Ibérique
Lorsque, en 1949, fut élaboré le premier plan en vue de cette entreprise, la Péninsule Ibérique y formait un maillon important dans la chaîne des pays demandant une enquête. Ce nest cependant quen 1959 que se présenta loccasion de prospecter ce secteur contigu à la Méditerranée. La péninsule ibérique présente une importance particulière tant au point de vue pratique que scientifique, en relation avec la tâche que jai entreprise.
Origine des Abeilles Ibériques
Le Dr. Friedrich RUTTNER (1952) relève que durant la période glaciaire qui sétend sur un million dannées, les conditions climatiques étaient telles quelles excluaient lexistence de labeille à miel de la plus grande partie de lEurope. La grande couche de glace scandinave sétendait du cap Nord jusquà une ligne, au Sud, allant de lestuaire de la Severn en Angleterre, à lest, jusquà Kiev en Russie et plus loin. Les Pyrénées et les Alpes étaient recouvertes par des glaciers et la région, sétendant plus au nord jusquà la frange de la couche de glace scandinave, consistait en une vaste toundra. Les restes fossiles, jusquici mis à jour en Europe, datent tous de la période tertiaire. Durant la période glaciaire, les abeilles européennes en furent réduites à trois lieux de refuge sur le Continent : les presquîles ibérique, apennine et balkanique. Labeille de la presquîle de lApennin, litalienne, a probablement toujours été confinée à son pays dorigine, en raison de ce que les Alpes formaient une barrière insurmontable à toute migration vers le Nord. Par contre, après la période glaciaire, labeille de la péninsule balkanique put sétendre en direction nord jusquà la barrière orientale des Alpes, et au nord-est, jusquen bordure de la Russie méridionale où il semble que sa progression ait été stoppée, non par des chaînes montagneuses, mais par de vastes steppes, sans arbres. De cela, il résulte que la repopulation de lEurope à lissue de la période glaciaire fut laffaire de labeille de la péninsule ibérique. La brèche à chacune des extrémités des Pyrénées permit une migration sans verrou ni obstacle en direction du nord. Ce retour post-glaciaire de labeille en Europe Centrale eut lieu il y a environ 7000 ans.
Etant donné que labeille noire dEurope provient de la péninsule balkanique, le Dr. RUTTNER tient quelle devrait recevoir le nom de son pays dorigine, au même titre que les deux autres variétés européennes portent le nom des pays où on les trouve maintenant sous leur forme la plus typique. Alors quil ne subsiste aucun doute que labeille européenne noire ou brune et, en fait, toutes les abeilles qui se rencontrent dans toute létendue de la Russie septentrionale remonte à la souche ibérique, il est, en retour, tout aussi certain que celle-ci, dans un passé encore plus lointain, est la descendante de labeille nord-africaine appelée communément Tellienne, soit lApis mellifera unicolor var. intermissa. Dans mon rapport, publié en 1954, javais exprimé lopinion que la Tellienne était une race primaire, et que les nombreuses variétés dabeilles brunes ou noires tout au moins celles dEurope occidentale avaient évolué au cours des temps à partir de la Tellienne. Javais signalé aussi que je navais pas eu loccasion dexplorer la péninsule ibérique mais que les variations à partir du prototype relevées dans les lignées dans le midi de la France et le nord-ouest de lEurope nétaient quune question de degré. Létroitesse de la parenté sautait aux yeux. Il était aisé de suivre le tracé de lévolution, orienté vers le nord et vers le nord-est à partir des Pyrénées. Les différences se bornaient à des nuances de degré et dintensité. Demblée, il métait clair que, bien que la péninsule ibérique nait été quun relais de poste sur la voie du développement, elle nen constituait pas moins le lien vital entre ce quon appelle labeille noire européenne et le prototype. Autant que nous le sachions, les périodes glaciaires et interglaciaires sétendirent sur une période de plus dun million dannées allant jusquà 5000 ans avant J.C. Apis mellifera var. mellifera était confinée au territoire au sud des Pyrénées. Elle y était donc virtuellement isolée de tout contact avec le continent africain et, plus complètement encore avec le reste du monde. Le détroit de Gibraltar, au plus étroit, est large de 14,5 km et on peut considérer comme certain quun essaim ne pourrait parcourir cette distance en vol. Le fort vent dest, presque constant et localisé au détroit et au voisinage immédiat rend la traversée doublement impossible à un essaim.
Ces considérations mises à part, jenvisageais de faire connaissance de plus près avec les abeilles et lapiculture dans la péninsule, étant déjà pourvu damples informations sur le trajet. Ces renseignements, je les devais à un jeune moine espagnol qui avait séjourné à Buckfast de 1926 à 1928 pour apprendre lapiculture. Il appartenait à labbaye de Valvanera dans le Nord du pays. Abeilles et apiculture se trouvent avoir été liées à cette abbaye dans le cur des apiculteurs espagnols de façon toute particulière en ce que la Vierge de Valvanera est considérée comme la protectrice des apiculteurs dans toute lEspagne. Ce jeune moine, avec dix-huit membres de cette communauté, fut hélas tué en automne 1936 au cours de la guerre civile.
Le Troisième Voyage
Jarrivai en Espagne au début de septembre 1959. Entré par lextrémité méditerranéenne des Pyrénées, je la quittai deux mois plus tard par lextrémité atlantique, via Irun. Durant mon séjour, javais parcouru non moins de 10 500 km en voiture. Mon enquête me conduisit de Gerone à lextrémité nord-est jusquà Lagos à lextrême sud-ouest, et de Tarifa, le point le plus méridional, à Coruña dans le coin nord-ouest. Je dus à la générosité, tant des apiculteurs espagnols que portugais, de me procurer des reines de chaque secteur de la péninsule, ainsi que des échantillons dabeilles en nombre encore plus grand, en vue détudes biométriques par le département apicole de Rothamsted.
Señor A.G. de VINUESA, qui publie Apicultura, et Sr J.M. SEPULVEDA, lun et lautre médecins vétérinaires, maccompagnèrent en Espagne. Au Portugal, le Ministère de lAgriculture désigna Sr V. CORRELA, son conseiller technique en apiculture, pour massister. On dit souvent que le temps ne tire pas à conséquence pour les peuples méridionaux, quils ont un penchant, pardonnable, à reporter tout ce quil est possible au lendemain. Il nen allait certainement pas ainsi des trois personnages en question. De fait, il me fallut souvent faire un gros effort pour tenir, face à leur énergie et à leur détermination. De jour, pas de temps perdu, et souvent lon roulait de longues heures la nuit.
Climat et Conditions
La péninsule ibérique est un monde en soi, de multiples manières. Elle est coupée du reste de lEurope par une puissante barrière montagneuse, difficile à passer sauf à ses extrémités. Cest aussi un pays de violents contrastes. Le sud-est et le nord-ouest possèdent des chaînes de montagnes à léchelle des Alpes, dépassant la ligne des neiges. Parmi ces montagnes se nichent de riches et charmantes vallées.
Par contraste, la grande plaine centrale ou Meseta, à laltitude moyenne de 600 m, présente une étendue énorme dune désolante uniformité avec des températures extrêmes fournaise en été et glacière en hiver. Le bord Est, le long de la Méditerranée, jouit dun climat égal, dépourvu dhiver au sens propre du terme. Le long de la côte ouest, au nord de Lagos, à Coruña, les vents lourds dhumidité de lAtlantique pénètrent en profondeur à lintérieur des terres auxquelles ils confèrent une extrême fertilité. LEspagne méridionale, surtout lAndalousie, et le Portugal, ont des hivers chauds et des étés torrides. La distribution des pluies et leur caractère présentent des contrastes aussi accusés, que le pays lui-même. Le nord-ouest de la péninsule a des précipitations moyennes de 710 mm et plus, avec 1776 mm à St Jacques de Compostelle ce qui équivaut à ce que nous avons à Buckfast et 30,5 mm et moins dans le sud-est de lEspagne, mais 901 mm dans la région de Gibraltar. Les pluies, dans le nord-ouest, rappellent en type et intensité ce que nous avons en Angleterre. Le jour où nous étions à Vigo et, quelques semaines plus tard, dans le nord du Portugal, nous recevions une pluie en tout point aussi persistante et torrentielle que ce à quoi le Devon nous a accoutumé. Dans les parties arides dEspagne, les pluies sont réservées à lautomne et à lhiver mais sont spasmodiques et très incertaines. Puis surviennent de courtes et violentes averses qui, souvent, semblent tomber dun ciel serein. Des averses de ce genre ne peuvent pénétrer la dure croûte du sol et nont guère pour effet que demporter ce quil peut y avoir de couche fertile superficielle. Lorsque la pluie vient à manquer, ce qui narrive que trop fréquemment, la misère est à la porte.
Ressources en Miel dans la Péninsule
En raison de lextraordinaire variété en fait de climat, altitude, exposition et sol, la péninsule ibérique est plus riche en espèces de plantes que tout autre secteur en Europe.
Les arbres les plus typiques des régions arides sont les deux espèces de chênes, le chêne vert persistant (Quercus ilex) et le chêne liège (Quercus suber) et, naturellement, le caroubier (Ceratonia siliqua). Dans la Meseta, souvent les grands-routes sont bordées de Robinia pseudoacacia qui est à peu près le seul arbre quon y voie. La végétation prédominante de la Meseta et des zones pierreuses non cultivées, dont il y a partout dimmenses étendues, est faite de buissons rabougris, de plantes herbacées à feuillage vert persistant des familles des Cistacées et Labiées. Parmi ces dernières, le thym, la lavande, la sauge et le romarin sont les grandes pourvoyeuses de nectar dans la péninsule. La bruyère et le genêt, le genêt dEspagne (Spartium junceum) sont extrêmement abondants en Galice dans lhumide nord-ouest, ainsi que beaucoup despèces dErica . De fait, il y a de grandes étendues de marécages dans la région montagneuse suivant une ligne dirigée vers le nord-ouest, de Bragance à Bilbao. La Calluna vulgaris semble néanmoins beaucoup plus répandue dans les parages montagneux de lEspagne septentrionale et dans les régions boisées de ce secteur. Je suis tombé sur la première bruyère en fleur dans des taillis entre Almazan et Soria, puis, le lendemain, ce furent des étendues beaucoup plus larges, en route pour Logrofio. On en trouve également de façon répandue, en particulier dans le sud du Portugal, sous le couvert des chênes-lièges. Ici, la bruyère fleurit sensiblement plus tard quen Europe septentrionale, et elle nest pas rabougrie, noueuse comme chez nous ; son port est élevé et les épis floraux forment des jets allongés. Un nombre infini, semble-t-il, de bruyères Erica peut être repéré dans toute létendue de la péninsule. La sorte la plus commune est la bruyère dEspagne (Erica australis), la portugaise (E. lusitania), puis E. arborea alpina, une espèce indigène des montagnes espagnoles, E. umbellata et E. scoparia.
Leucalyptus est fort commun en Andalousie et en partie au Portugal. Dans la province de Huelva, jen ai noté de grandes plantations datant de nombreuses années. Deux des espèces les plus répandues sont Eucalyptus globulus, fleurissant en novembre décembre, et E. rostrata qui fleurit de mi-juin à mi-juillet. Ce dernier ne donne du nectar que le soir et tôt le matin. Les grands bocages dorangers se confinent à une zone relativement restreinte, au sud et au nord de Valence et à louest de Séville. La châtaigne dEspagne (Castanea sativa) se rencontre en grande abondance dans le nord du Portugal, dans la zone entre Braga, Vila Real et Bragance. Le trèfle blanc (Trifolium repens), bien que commun dans le nord-ouest de lEspagne, nest pas considéré comme source de nectar. En Andalousie, de vastes étendues de coton (Gossypium herbageum) sont cultivées, mais les pulvérisations empoisonnées causent souvent de lourdes pertes en abeilles.
Il est clair que la péninsule ibérique jouit dune surabondance darbres, ainsi que de buissons et de plantes, donnant du nectar, dont les plus importants sont sans aucun doute loranger, le romarin, la lavande, le thym, la bruyère et les divers Erica, Eucalyptus et, peut-être, le caroubier.
Tous ces détails peuvent paraître superflus, à côté de lobjectif principal de mes recherches. Néanmoins, quil me soit permis de mettre laccent sur le fait quun des buts fondamentaux dun voyage comme celui-ci consiste à obtenir une connaissance intime de lhistoire et de lorigine dune race dabeilles, ainsi que des à-côtés et des influences qui ont joué dans la formation et le développement dune race et dune lignée particulière. Rappelons que lhabitat où sest, au cours des ans, formé et modelé un organisme est en relation étroite avec les caractères dont il est affecté. En réalité, les caractères propres dun organisme reflètent souvent les influences particulières de son habitat, et il nexiste peut-être pas dorganisme chez lequel il nen soit autant ainsi que chez labeille. Dans la nature, labeille est absolument à la merci de son milieu, et elle doit ou bien sadapter ou bien périr.
publié en français dans
La Belgique Apicole, 25(10) 1961, p262-268. avec leur permission. Original in the Bee World, 42, may 1961. |
[ Bibliographie ]
[ Original in English ] [ Premier voyage 1950 ] [ Second voyage 1952 ] [ Conclusions des voyages 1964 ] |
par le Frère ADAM, O.S.B.
Abbaye St Mary, Buckfast, South Devon Angleterre. Traduction et adaptation française par Georges LEDENT Bruxelles, Belgique |
Design et
Réalisation : Jean-Marie Van Dyck Namur Belgique
Copyright © 2000-2001 All Rights Reserved
Fichier créé le samedi 12 décembre 1997
Envoyer toute correction ou commentaire à
Jean-Marie.VanDyck@fundp.ac.be