Vie et Mœurs
des abeilles
publié en français
par Payot, Paris, 1951. épuisé. |
par le Docteur Maurice MATHIS
de l’Institut Pasteur de Tunis |
DEUXIÈME PARTIE
Chapitre I.
Journal de la colonie d’abeilles
du Vivarium
au Muséum d’histoire naturelle de Paris
En 1940, alors que nous visitions le Vivarium, M. le Professeur Chopard qui le dirige avec une rare compétence nous exprimait le désir de posséder dans une de ses vitrines dexposition une colonie dabeilles vivantes et travaillant en quelque sorte sous les yeux du public. Jusque-là, aucun apiculteur navait consenti à exécuter ce projet, alléguant quun essaim dabeilles refuserait dutiliser le tuyau de 2,50 m qui reliait la vitrine à lextérieur. Ayant une opinion contraire, basée sur lobservation de colonies dabeilles logées naturellement dans certains troncs darbres ou dans de vieilles cheminées, nous proposions dapporter un essaim dès le printemps suivant. Ce qui fut fait. Les abeilles découvrirent très rapidement le passage à lintérieur du tuyau et lutilisèrent sans la moindre répugnance ; lexpérience confirmait nos prévisions.
Année 1941
Le 23 mars, nous apportons au Vivarium les abeilles dune colonie de notre rucher de Saint-Fargeau (Seine-et-Marne) mise en essaim trois jours plus tôt. Cet essaim pèse exactement 1 kg, 200.
Dans la vitrine nous plaçons un tronc darbre avec deux branches pour donner lillusion de la nature. Sous une branche nous fixons une planchette horizontale et deux cadres Dadant-Blatt remplis de miel operculé et de pollen ; les deux cadres sont suffisamment éloignés pour permettre aux abeilles détablir entre eux un rayon de cire nouvelle. Cest ce quelles ne tardèrent pas à faire en quelques jours. La reine pondit dans ces cellules nouvelles, et jamais dans les vieux rayons.
Le volume de la vitrine est considérable :
100 cm × 70 cm × 45 cm = 315 litres.
On peut considérer que la colonie travaille en plein air, mais dans un air un peu réchauffé et ne subissant pas les variations nocturnes et diurnes ou les subissant dans de faibles proportions.
25 mars. — La population se réduit à 10 000 abeilles, un certain nombre mourant probablement de vieillesse. La colonie déploie une grosse activité, les apports de pollen sont considérables. De beaux gâteaux de cire sont construits pendant tout le mois suivant et un couvain magnifique est élevé.
25 avril. — Les premières abeilles commencent à naître depuis quelques jours ; quelques mâles apparaissent, correspondant à la première grande ponte parthénogénétique. La population est estimée à 20 000 abeilles.
25 mai. — Les mâles sont très nombreux, la population est denviron 40 000 abeilles.. On aperçoit quelques ébauches de cellules royales.
25 juin. — Lactivité de la colonie est énorme. Il y a près de 80 000 abeilles. De grands gâteaux remplis de couvain et de miel pendent sous la planchette et atteignent presque le sol ; ils ont près de 60 cm de hauteur.
15 juillet. — Six gâteaux représentant près de 60 000 cellules seffondrent sous le poids du miel accumulé. Il en résulte une agitation considérable pendant quelques jours ; les abeilles réparent les dégâts remontant le miel qui sest écoulé. A partir de cette date, elles ne construisent plus de nouvelles cellules. La grande miellée des tilleuls est terminée.
25 juillet. — La population se stabilise aux environs de 100 000 abeilles.
Septembre-octobre-novembre. — La colonie réduit peu à peu son activité ; les mâles sont tués ; les abeilles au nombre de 50 000 se groupent de préférence aux abords du tunnel.
21 et 22 novembre. — Température très douce. Les abeilles sortent très activement et rapportent du pollen récolté sur les fleurs de lierre. Cest la date extrême des apports de pollen. Le miel operculé nest pas touché.
10 et 11 décembre. — Sortie active des abeilles au début de laprès-midi ; elles ne rapportent rien de visible. Tout le miel non operculé a disparu des cellules.
21 décembre. — Vers 14 heures, les abeilles sortent mais ne rapportent rien. Température intérieure du Vivarium +15°C. Un thermomètre plongé au centre du groupe des abeilles indique +20°C.
28 décembre. — Quelques cellules de miel sont désoperculées, les abeilles les vident immédiatement de leur contenu.
Résumé. — Au cours de ces quelques mois, lessaim de 1 kg 200 placé dans la vitrine du Vivarium a pris un développement étonnant. La quantité de miel mise en réserve est difficile à apprécier, une soixantaine de kilos. Leffondrement des gâteaux prouve que les abeilles travaillent sans se rendre compte de ce quelles font.
La colonie a bénéficié dune source énorme de nectar sécrétée par tous les magnifiques arbres du Jardin des Plantes.
Année 1942
24 janvier. — Sortie massive des abeilles, au cours dun après-midi ensoleillé ; pas de déjections apparentes. Quelques cellules de miel désoperculées sont immédiatement vidées.
11 février. — Il fait encore très froid, mais le dégel commence. Quelques abeilles voltigent au trou de vol. Quelques cellules sont désoperculées, le miel sécoule ; peu dabeilles sen gorgent le lendemain, le miel est toujours répandu par terre.
13 février. — Verglas intense ; froid à 5°C. Les abeilles sont bien groupées, tassées les unes contre les autres ; quelques-unes deviennent très actives dès que lon remue les gâteaux de cire. Le miel répandu na pas encore été absorbé. La masse des abeilles représente un volume de 10 litres. Il doit y avoir approximativement 50 000 abeilles. Pas de mortalité.
28 février. — Les abeilles sont toujours bien tassées ; quelques abeilles volettent ; déjections liquides. Les chatons de noisetiers ne sont pas encore ouverts.
1er mars. — Le dégel est amorcé ; le soleil brille toute la journée. Les abeilles sortent en masse. Pas de déjections liquides. Jobserve de nombreuses abeilles qui boivent de leau pure. Ce sont des jeunes, elles nont aucune combativité, elles ne semblent pas vouloir se servir de leur aiguillon. Une grosse activité règne à lintérieur de la ruche. Tout le miel répandu est absorbé. Les abeilles ont un phototropisme positif intense.
14 mars. — 3 à 4 grosses poignées dabeilles sont mortes dans le fond de la ruche. Très beau soleil ; la température est aux environs de 20°C. Les abeilles rapportent du pollen depuis quelques jours :
Je compte à 13 heures : 5 minutes 54 abeilles avec du pollen ; 5 minutes 56 abeilles avec du pollen ; 5 minutes 52 abeilles avec du pollen.
19 mars. — Temps variable, ondées suivies de belles éclaircies. A 13 heures, les apports de pollen oscillent entre 30 et 181 abeilles pour la même période de 5 minutes.
Quelques cellules de miel sont désoperculées, les abeilles le lèchent avec la plus grande avidité. Jobserve des échanges de nourriture entre les abeilles.
Une cellule de miel, située contre la vitre est désoperculée par une abeille qui se gorge avidement.
Les abeilles sont belles, luisantes, semblent en parfait état.
Les noisetiers et les cornouillers sont en pleine floraison.
A lintérieur de la ruche, on aperçoit des paquets de chaînes cirières.
23 mars. — Temps splendide. Les abeilles ont des pelotes de pollen énormes ; à 16 heures en 5 minutes, on compte une première fois 180 abeilles chargées, une seconde fois 170. Celles qui rapportent du pollen représentent la moitié du nombre total de celles qui rentrent à la ruche.
Voici donc un an que lessaim a été installé. Il a lavantage sur lannée précédente davoir déjà une masse énorme de couvain et des milliers de cellules de cire à sa disposition. Il doit prendre cette année un développement prodigieux, remplir là totalité de la vitrine et jeter plusieurs gros essaims.
24 mars au 1er avril. — Apport constant et massif de pollen.
14 avril. — On aperçoit des gâteaux de cire nouvelle ; les petites et les grandes cellules contiennent des ufs, du nectar, du pollen et du miel fraîchement operculé. Il doit y avoir 40 000 à 50 000 abeilles. Les abeilles expulsent des cadavres de nymphes. Pourquoi ?
18 avril. — Toujours les mêmes apports de pollen, environ 140 abeilles chargées toutes les 5 minutes.
20 avril. — La température étant plus douce nous apercevons pour la première fois une plaque de couvain douvrières operculées. Il y a quelques manques ou trous. Pourquoi ? Dans la partie antérieure de la ruche, les abeilles construisent uniquement en petites cellules.
22 avril. — Pleine floraison des marronniers dInde blancs.
24 avril. — Hier on a aperçu le premier mâle éclos.
29 avril. — La colonie compte de 80 000 à 100 000 abeilles avec près de 10 000 mâles.
3 mai. — A 14 heures, en 5 minutes, on compte 250 abeilles chargées de pollen. Temps splendide; les marronniers dInde sont en pleine floraison. De très nombreux mâles font leur première sortie avec le vol de repérage caractéristique au trou de vol. Dans la partie supérieure de la paroi postérieure de la vitrine, les abeilles ont rempli plusieurs cellules de miel quelles ont operculées. Dans les cellules de lannée dernière, les abeilles accumulent du nectar, mais la reine ne vient pas y pondre. Elle recherche de préférence les cellules de cire neuve. Dans certaines zones les abeilles construisent de petites cellules, dans dautres de grandes.
17 mai. — Apport considérable de nectar, les acacias sont en pleine floraison. La reine pond dans les cellules libérées par léclosion des mâles.
31 mai. — La colonie, en dépit de son activité, de son développement qui font ladmiration des visiteurs ne me paraît pas évoluer normalement. Il y a des cellules de mâles operculées qui ne donnent aucune éclosion; dans dautres, les ufs pondus par la reine névoluent pas. Ils disparaissent. Pourquoi ?
6 juin. — Les tilleuls sont en fleurs.
12 juin. — Beaucoup de cadavres dans le fond de la ruche. La colonie en dépit de son apparence florissante névolue pas comme elle devrait le faire. Elle est frappée à mort dune manière mystérieuse.
15 juillet. — Augmentation dérisoire du nombre des abeilles. Pendant le même mois de lannée dernière, le nombre des abeilles avait doublé.
A cette date, nous partons en Tunisie.
Au cours des années suivantes, la colonie sest maintenue, mais elle saffaiblissait peu à peu, sans jamais donner dessaim.
En 1945, au cours dun passage à Paris, nous allons voir notre colonie au mois doctobre. Des milliers de papillons de la petite fausse-teigne voltigent à lintérieur et à lextérieur de la vitrine. La solution du problème, cette mortalité mystérieuse, nous en avons la cause sous les yeux.
Dans le fond de la vitrine, au milieu du sable nous apercevons des milliers de petites galeries avec des chenilles de la fausse-teigne. Nous prédisons la mort de la colonie dans un avenir très proche. Elle séteignit au printemps suivant.
CONCLUSION. — Le journal de cette colonie que nous avons résumé, donnera tout au moins nous lespérons, des indications exactes sur le développement des abeilles livrées en quelque sorte à elles-mêmes. Cette expérience nous a apporté par ailleurs une démonstration sur les ravages de la fausse-teigne, démonstration sur laquelle nous ne comptions pas.
Chapitre II.
Journal dune petite colonie dabeilles
pendant un an à Tunis
Dans le chapitre précédent nous avons donné le Journal de la colonie dabeilles du Vivarium de Paris; dans celui-ci, nous relatons au jour le jour le développement dune toute petite colonie, évoluant à Tunis. On trouvera dans ce Journal nos observations, nos hypothèses, nos craintes, nos espoirs, nos interprétations du moment qui sont quelquefois exactes, le plus souvent erronées. Pour que sa lecture ne soit pas trop fastidieuse, nous avons résumé lensemble des notes à la fin de chaque mois. Depuis le moment où cette expérience a été conduite (novembre 42, novembre 1943) nous avons fait bien dautres expériences, infirmant ou confirmant nos premières hypothèses, nous avons donc joint au texte un commentaire critique. Chaque ligne représente souvent des heures dobservations, nous espérons que ce temps naura pas été consacré en vain à létude des abeilles.
Premier mois (du 7 novembre au 7 décembre 1942)
7 novembre. Je prélève à 17 heures dans une ruche Langstroth en pleine activité, deux cadres couverts dabeilles contenant des ufs, des larves et des nymphes operculées. Je distribue aux abeilles du miel dilué autoclavé dont elles se gorgent immédiatement. La ruchette contenant les deux cadres et les abeilles prisonnières sera placée en permanence dans une étuve obscure à 32°C.
9 novembre. Distribution de miel autoclavé. Les abeilles, sans reine ébauchent la construction de plusieurs cellules royales : calices de gland.
10 novembre. Il y a encore dans les cellules des ufs non éclos; les larves à terme sont operculées; de jeunes abeilles éclosent; les larves en voie de développement ont un aspect brillant et paraissent humides; elles ont lair en bon état.
11 novembre. Distribution de miel autoclavé. Il ny a plus dufs; les abeilles poursuivent lédification des cellules royales.
13 novembre. Le matin, 5 cellules royales sont operculées, deux autres en voie dachèvement; les abeilles ont donc pris en nourrissement des larves de quelques heures. Quelques abeilles sont mortes dans le fond de la ruchette.
16 novembre. Les abeilles dédaignent le miel distribué. A midi, le temps étant très beau, je libère les abeilles. Elles senvolent en faisant un vol de repérage précis ; plusieurs défèquent massivement en plein vol; quelques-unes, à labdomen distendu tombent lourdement. A 17 heures, toutes les abeilles sont revenues, je remets la ruchette à létuve à 32°C. Plusieurs cellules de larves douvrières operculées sont ouvertes par les abeilles; japerçois les têtes des nymphes ainsi désoperculées. Une poignée dabeilles mortes dans le fond de la ruchette.
17 novembre. Les abeilles sont libérées de nouveau de 12 à 17 heures. Défécations massives au vol. Les abeilles dédaignent le miel dilué autoclavé qui leur est distribué; elles se groupent autour des cellules royales. [5 jours après loperculation.]
18 novembre. Je compte dans la ruchette 16 cellules royales. Jen ouvre 10; les nymphes sont toutes au même stade de développement. Dans les cellules ouvertes, il ny a pas trace de gelée royale; dans lune delle je découvre une chenille de la fausse-teigne, et, dans une autre des excréments caractéristiques de ce parasite. Je dissèque une nymphe : labdomen est rempli de corps gras, dans le tube digestif aucune trace de pollen. Les 9 nymphes restantes sont placées sur un papier buvard dans une boîte de Pétri; un coton mouillé maintient lhumidité sans les mouiller.
19 novembre. La couleur blanche de quelques nymphes isolées vire au jaune. La température est à 32°C.
20 novembre. Je libère les abeilles, vol de défécation.
21 novembre. Naissance de jeunes abeilles. Quelques cadavres de nymphes douvrières désoperculées sont expulsées au-dehors de la ruchette par les abeilles. Les abeilles dédaignent le miel, par contre les jeunes sen gorgent, pour ensuite loffrir en ouvrant la bouche devant les autres. Deux des nymphes royales de la boîte de Pétri remuent et déplient leurs ailes; leur abdomen est énorme; elles sont peu actives.
22 novembre. Une reine naît dans la ruchette en découpant son opercule. Les deux nymphes de la boîte de Pétri sont devenues des reines agiles. Il y a donc eu identité de comportement dans la cellule royale et en dehors.
25 novembre. Les abeilles libérées rapportent pour la première fois du pollen.
26 novembre. Les abeilles font une sortie massive de 16 à 17 heures. Elles dédaignent le miel dilué autoclavé et ne rapportent pas de pollen.
27 novembre. Les abeilles sont libérées de 14 à 16 heures. Il ny a plus une cellule de couvain operculé. Je distribue du sirop de sucre (concentration 700 grs par litre).
30 novembre, 1er, 3, 4, 5 décembre. Les abeilles rapportent du pollen.
5 décembre. Des 9 nymphes extraites des cellules royales, nous naurons que trois reines en bon état; de ces trois reines, deux sont incapables de voler, la troisième séchappe, cest la seule qui paraît normale. Une mortalité considérable frappe les nymphes royales.
Les abeilles de la ruchette sont mises en essaim, les deux rayons de cire sont fixés dans deux cadres François Huber. La colonie ainsi constituée occupe environ un litre. Il y a environ 3000 abeilles et la reine vierge qui paraît en bon état.
OBSERVATIONS. Au cours de ce mois, nous avons confirmé dune manière précise lédification des cellules royales et la naissance dune reine, le « 8e jour après loperculation de la cellule royale, soit le 16e jour après la ponte de luf ».
Les abeilles peuvent être maintenues prisonnières au cours des premiers jours de lélevage royal; elles ont dabord absorbé le sirop de miel dilué autoclavé pendant deux jours, puis lont dédaigné. Les premiers apports de pollen ont commencé 3 jours après la naissance de la reine.
Nous avons constaté la désoperculation de cellules contenant des nymphes et leur expulsion; comme cette désoperculation na pas touché toutes les cellules, nous sommes en droit de supposer que les nymphes désoperculées étaient malades. Des 9 nymphes royales, une seule a évolué normalement, la mortalité est due à une cause inconnue que nous rechercherons par la suite.
CRITIQUE. Nous navons pas compris à ce moment le rôle destructeur des chenilles de la fausse-teigne; pourtant nous en avons trouvé une vivante et les excréments dautres.
Les nymphes royales sont très délicates à manier, il ne faut donc pas sétonner que nous les ayons lésées en les sortant de leur cellule, surtout dans la région du moignon des ailes.
Les nymphes désoperculées et expulsées ont été tuées par les chenilles de la fausse-teigne qui existaient bien dans une ruche populeuse en pleine activité.
Deuxième mois (du 7 décembre 1942 au 7 janvier 1943)
7 au 11 décembre. La ruchette est mise à létuve à 32°C, sauf pendant les quelques heures de la journée où nous laissons sortir les abeilles. Une petite coupelle se trouve en permanence dans la ruchette avec du sirop de sucre.
12 décembre. Première sortie de la reine vierge qui fait un vol de repérage de quelques minutes. Elle est âgée de 20 jours.
13 décembre. La reine sort pendant 25 minutes, elle revient non fécondée. Les cellules des petits gâteaux de cire sont remplies de sirop dégorgé par les abeilles qui le pompent dans la coupelle.
14 décembre. Pour activer la maturité sexuelle de la reine vierge, la ruchette st placée à létuve à 37°C pendant toute la nuit. Au matin, trois abeilles mortes. Temps superbe. A 11 heures les abeilles sont libérées; elles rapportent du pollen. Vers midi, la reine sagite; à midi dix, elle sort; son absence dure 25 minutes; elle revient portant à son vagin entrouvert une masse blanchâtre (les organes génitaux du mâle qui la fécondée). La reine est âgée de 22 jours. Pendant toute la journée les abeilles sont très actives et récoltent du pollen. Je place dans la ruche un tube Borrel (tube en verre cylindrique à fond plat de 4 cm de diamètre et de 8,5 cm de hauteur, servant en microscopie à colorer et décolorer les préparations) pouvant contenir 100 cc de sirop de sucre.
16 décembre. Tout le pollen rapporté a été consommé pendant la nuit.
17 décembre. Je place un deuxième châssis contenant un petit gâteau de cire avec quelques larves et des ufs, gâteau prélevé dans une autre colonie mais sans aucune abeille. Les abeilles se portent immédiatement sur le couvain. Elles continuent à sortir et à rapporter du pollen.
Vers midi, la reine sagite de nouveau; elle sort un quart dheure plus tard et senvole sans le moindre repérage. Une demi-heure plus tard, elle revient le vagin de nouveau entrouvert par une masse blanchâtre. Cest sa deuxième fécondation. La première na-t-elle pas été effective ? Je suis perplexe [NB. En 1951, on navait pas encore découvert la fécondation multiple des reines au cours d’un seul vol nuptial. Cette caractéristique ne fut décrite par le Dr J. Woyke qu’en 1955 Multiple mating of the honeybee queen in one nuptial flight. Bull. Acad. Polon. Sci. Cl. 3(5): 175-180]. Elle est âgée de 25 jours; théoriquement, daprès les recherches de François Huber, elle ne doit pondre que des ufs parthénogénétiques.
Journée très belle. Les abeilles rapportent du pollen en masse; elles ont pompé 100 cc de sirop de sucre. Les larves du couvain ajouté ont un bel aspect et reposent sur un lit de gelée blanchâtre.
19 décembre. Les abeilles sont libérées à 11 h 10; à 11 h 20, la première abeille revient avec son chargement de pollen : durée de la récolte 10 minutes. De 12 h 10 à 12 h 20, je compte 35 abeilles avec des pelotes de pollen.
21 décembre. Japerçois un uf qui disparaît par la suite.
23 décembre. Ponte des premiers ufs de la reine. Donneront-ils des larves douvrières ou de mâles.
24 décembre. Les abeilles sont bien groupées. Dès que la ruche est mise à létuve à 37°C, elles se dispersent et ventilent activement. Quelques-unes pompent le sirop de sucre. Des larves du châssis ajouté le 17 décembre sont operculées, dautres se développent normalement. Quelques cellules remplies de miel sont operculées; cest la première fois que les abeilles operculent du miel. Jusquà ce jour elles se contentaient dentreposer le sirop de sucre dans les cellules. Des paquets dabeilles construisent de petites cellules de cire; la reine circule au milieu de leur groupe. Le pollen est consommé.
26 décembre. Jexamine les cellules entre les gâteaux de cire; elles contiennent des ufs et une jeune larve reposant sur un lit de gelée. Quelques nouvelles cellules de miel sont operculées; le pollen est entièrement consommé; du 22 au 26, les abeilles ont pompé 400 cc de sirop de sucre (Voir la courbe).
27 décembre. Japerçois des ufs sur la face extérieure du gâteau de gauche. Je marque une cellule contenant un uf. Le miel continue à être operculé dans quelques cellules.
29 décembre. Les parois dune cellule contenant une larve sont exhaussées, comme sil sagissait dune larve de mâle. Je suis fort perplexe. Du pollen rouge est accumulé dans les cellules voisines de celles qui contiennent les ufs. Le miel continue à être operculé.
30 décembre. Les cellules aux parois exhaussées sont fermées avec des opercules bombés; il y a donc dessous des larves de mâles. Les ufs du 27 sont couchés; dès quune larve naît, elle est immédiatement pourvue de gelée.
31 décembre. Les deux cellules de mâles qui mintriguent tant, sont désoperculées et les nymphes expulsées : ce sont des mâles. Doù viennent-ils ? Je nen sais rien. La reine pondrait-elle quelques ufs non fécondés ?
2 janvier. Je distribue pour la première fois du sirop de sucre coloré légèrement au bleu de méthylène.
4 janvier. Dans quelques cellules se trouve du sirop coloré en bleu-vert. Par contre la gelée des larves est toujours blanchâtre. Les jeunes abeilles du châssis ajouté le 17 décembre commencent à naître. Les cellules contenant les larves issues des ufs pondus par la reine sont fermées avec des opercules plats. La reine est donc fécondée normalement. Je vois la reine au cours de ses déplacements abandonner un uf; il est immédiatement dévoré par labeille la plus proche qui le détecte en le touchant de ses antennes.
5 janvier. Les jeunes abeilles continuent de naître. Jintercale un 3e châssis entre les deux autres; ce châssis est amorcé avec un petit rayon de cire naturelle construit en petites cellules.
6 janvier. Dans les cellules de ce rayon les abeilles ont déposé du sirop coloré au bleu de méthylène et dans la partie centrale la reine a pondu pendant la nuit. Au cours de la journée, les abeilles apportent du pollen quelles entreposent dans les cellules qui bordent celles qui contiennent les ufs. Je vois une abeille dévorer directement le pollen aux pattes de celle qui la rapporté à la ruche.
OBSERVATIONS. La reine en dépit du retard dans sa fécondation pond des ufs normalement fécondés; cette ponte suit de quelques jours le vol nuptial. La reine a été fécondée deux fois. Le premier accouplement devait être incomplet.
Luf abandonné par la reine a été dévoré par une abeille. Elle aurait pu le porter dans une cellule. Cette observation plaide contre le transport des ufs par les abeilles.
Le mois précédent les abeilles avaient absorbé une centaine de centimètres cubes de sirop de sucre; cette consommation est passée à 1 litre 400. Le sirop coloré se retrouve dans les cellules, mais la gelée des larves ne lest pas; il sagit donc dune sécrétion et non dune régurgitation.
CRITIQUES. Nous aurions dû ne pas ajouter un petit gâteau de couvain. Nous avons souvent observé par la suite, à maintes reprises que les abeilles-ouvrières pouvaient pondre des ufs parthénogénétiques, même en présence dune reine; les deux larves de mâles proviennent peut-être de tels ufs, mais nous nen navons aucune certitude.
Troisième mois (du 7 janvier au 7 février 1943)
7 janvier. La colonie possède des ufs, des larves qui reposent sur un lit de gelée, jamais colorée en vert, des cellules contenant du pollen et du sirop de sucre, une petite réserve de miel operculé. La reine pond normalement, les abeilles sont actives, toutes les conditions sont réunies pour un développement normal.
8 janvier. Les abeilles sont libérées. La récolte du pollen se fait en 8 minutes au minimum. Les abeilles sont très actives.
9 janvier. Lexamen des cellules du gâteau central montre la présence de jeunes larves en bon état reposant sur un lit de gelée. Je marque sur la vitre avec précision quelques cellules contenant des larves.
10 janvier. Les larves des cellules marquées ont disparu; elles ont été dévorées par les abeilles. Cest la première fois que je note avec précision ce phénomène qui me paraît incompréhensible. Lexamen du cadre central montre un développement normal des larves.
11 janvier. A 10 heures, je distribue du sirop coloré au rouge neutre; les abeilles semblent avoir quelque répugnance pour celui qui est coloré au bleu de méthylène. A 14 heures, plusieurs cellules contiennent du sirop coloré en rouge. Jai loccasion dexaminer la reine avec attention; elle est immobile juste derrière la vitre. Elle a un abdomen normal, à peine plus long que celui dune abeille ouvrière.
Je marque une cellule isolée contenant un uf, et, à côté delle, deux autres cellules remplies de sirop rouge.
12 janvier. La cellule contenant luf est vide. Quest-il devenu ? Encore dévoré ? La colonie a bel aspect. Les larves de trois jours du gâteau central sont légèrement teintées de rouge; les cellules en bordure contiennent des larves plus jeunes et des ufs, dautres du sirop bleu, jaune et rouge. Pas trace de pollen.
Les abeilles sont libérées, elles rapportent du pollen. A la fin de la journée, nouvel examen, pas trace de pollen, il est entièrement et totalement consommé.
13 janvier. A 10 heures, jobserve la naissance des premières abeilles filles de la reine. Celle-ci est constamment entourée « dune cour dhonneur ».
14 janvier. Temps magnifique, apports de pollen considérables. Je déplace le châssis central ( n° 3) vers lextérieur à gauche pour mieux suivre le développement des larves sans déranger les abeilles en ouvrant la ruche. Les larves proviennent dufs pondus le 6 janvier.
15 janvier. Quelques larves sont operculées. Je note ce travail. Il est effectué en un quart dheure par une seule abeille. La larve est encore lovée sur elle-même dans le fond de la cellule lorsque loperculation commence. Je distribue du sirop de sucre coloré à lencre de Chine.
16 janvier. Naissances de nombreuses abeilles, lune delles est toute petite et paraît « rachitique ». La reine pond immédiatement dans les cellules libérées par la naissance des abeilles.
Les petites larves des cellules en bordure du gâteau sont mortes, elles paraissent desséchées. Je note un nymphe désoperculée. Du sirop coloré à lencre de Chine a été entreposé dans quelques cellules.
Les abeilles libérées ont une très grande activité.
17 janvier. Apport de pollen.
18 janvier. Les cadavres des larves desséchées ont disparu. Le sirop coloré en vert a été entièrement repris et transformé par les abeilles.
20 janvier. Distribution de sirop au rouge neutre. Dissection de quelques abeilles et de grosses larves; présence des grains noirs de lencre de Chine.
22 janvier. Nouvelles dissections, lintérieur des grains de pollen est coloré en rouge.
23 janvier. Distribution de sirop coloré au vert de Janus, un peu plus tard je le retrouve dans les cellules.
26 janvier. Naissance dune abeille issue dun uf pondu dans la journée du 5 janvier, temps dévolution 21 jours.
Apport considérable de pollen.
Jobserve le manège dune abeille chargée de deux pelotes de pollen; elle introduit une patte dans une cellule, puis avec lautre détache la pelote; elle fait de même avec lautre charge. Elle se penche ensuite dans la cellule et y enfonce la tête. Quand elle ressort, le pollen est bien tassé dans le fond de la cellule, il paraît tout humide.
27 janvier. Les abeilles sont retenues prisonnières, une seule morte.
28 janvier. Au matin, 3 mortes, ce qui fait 4 en 48 heures. La ruchette est placée 2 heures à létuve à 37°C, les abeilles se dispersent sans aucune agitation; elles ventilent posément et énergiquement.
A 9 heures, je note dans une cellule deux ufs; à 17 heures, ils y sont toujours.
29 janvier. Les deux ufs sont toujours là. Je donne aux abeilles deux tubes Borrel remplis de sirop de sucre; dans lun il est coloré au rouge neutre; dans lautre à la teinture de tournesol.
30 janvier. En 48 heures, 0 morte. Le sirop de sucre des deux tubes est absorbé dans les mêmes proportions. Un des deux ufs existe toujours, lautre a donné naissance à une larve qui repose sur un lit de gelée blanchâtre.
Je constate que la gelée blanchâtre sur laquelle repose les larves devient transparente. Naissance de jeunes abeilles. Les deux tubes Borrel sont presque vides.
1er février. Luf surnuméraire et la larve ont disparu. Incompréhensible.
Si jempêche les abeilles chargées de pollen dentrer dans la ruche, elles meurent desséchées en quelques heures; leur survie est un peu plus longue, si je mets à leur disposition un peu de sirop de sucre. Cest la faim ou la soif qui ferait revenir à la ruche, les abeilles récolteuses de pollen.
Le dégorgement du sirop de sucre se fait sur les parois internes des cellules, même dans celles qui contiennent une larve, il est repris par la suite.
Peu de naissances, la mortalité est considérable sans que je puisse me lexpliquer.
2 février. A partir daujourdhui, je distribue du sirop Codex pur [Sirop de sucre préparé par dissolution à froid et utilisé en pharmacie. Il contient environ 1 kg de sucre cristallisé par litre]. Je note plusieurs cellules contenant des ufs et des larves.
4 février. Tous les ufs et les larves ont disparu. Je donne du pollen aux abeilles; elles le picorent. Cest la première fois que je vois des abeilles avides de pollen à ce point. Elles ont à nourrir de très nombreuses larves.
5, 6 et 7 février. Les abeilles sont actives et rapportent du pollen.
OBSERVATIONS. Au cours de ce mois, notre attention a surtout été attirée par le nombre considérable dufs et de larves qui disparaissent dévorés par les abeilles. Pour quelle raison ?
Les abeilles qui reviennent à la ruche chargées de pollen meurent en quelques heures, si elles ne peuvent se gorger deau sucrée ou de miel.
Du 13 décembre au 13 février, soit en deux mois nous avons compté 89 abeilles mortes dans la ruche, mais combien vont-elles mourir dehors ?
CRITIQUES. Le sirop de sucre distribué massivement en dehors de toute miellée naturelle serait peut-être bien la cause de la mort des larves. Pour éclaircir ce point il faudrait peut être nourrir les abeilles avec du miel.
Quatrième mois (du 7 février au 7 mars 1943)
8 février. Je note la disparition de nombreuses larves logées dans les cellules du pourtour des gâteaux de cire.
9 au 11 février. Rien à signaler. A cette date, les abeilles construisent de nouvelles cellules de cire blanche et la reine y pond immédiatement.
23 février. Japerçois lébauche dune cellule royale, le calice de gland de Réaumur. La reine a un abdomen volumineux. Jajoute un 4e cadre portant une grande plaque triangulaire de cire gaufrée. Les abeilles sont mises à létuve à 35°C.
24 février. En une nuit, toutes les parois de toutes les cellules de la cire gaufrée sont exhaussées. Apport de pollen.
25-26 février. Les cellules de la cire gaufrée sont remplies de sirop coloré.
27 février. Ponte de quelques ufs, les cellules voisines sont remplies de sirop.
2 mars. La cire gaufrée est moins résistante que la naturelle; les cellules hexagonales se déforment lentement, sétirent vers le bas.
3 mars. Je mets à la disposition des abeilles deux tubes Borrel : lun est rempli de sirop Codex pur, lautre de sirop dilué au tiers.
4 mars. Les abeilles ont pompé la totalité du sirop et les deux tiers du sirop dilué. Elles vont donc de préférence vers les concentrations les plus élevées.
6 mars. Dès quelles sont libérées, les abeilles expulsent les cadavres et les portent en volant à plusieurs dizaines de mètres, quelquefois plus de cinquante mètres.
OBSERVATIONS. Beaucoup de jeunes larves et dufs disparaissent. La population augmente, mais pas comme elle devrait le faire. Je pense que de nombreuses jeunes abeilles périssent en dehors de la ruche.
Rapidité de lédification des cellules sur la cire gaufrée.
Le miel operculé apparaît rouge sous la pellicule de cire blanche.
Cinquième mois (du 7 mars au 7 avril 1943)
7-9 mars. Les abeilles sortent et rapportent du pollen probablement du nectar; elles pompent régulièrement le sirop de sucre. Les cellules bâties sur la cire gaufrée sont operculées en partie, dans la portion supérieure; dans la moyenne, elles se distendent de plus en plus. La cire gaufrée na pas les mêmes propriétés mécaniques que la cire sécrétée directement par les abeilles.
12 mars. La ruchette est placée quelques heures à 37°C., le rayon de cire gaufrée se rompt au niveau des cellules non encore operculées. Il se maintient vertical, je le laisse. Les abeilles sont agitées, elles pompent le miel répandu. Je me repens davoir mis la ruchette à létuve.
13 mars. Tout le miel a été récupéré; nombreuses naissances de jeunes abeilles; la colonie augmente sensiblement.
14 au 22 mars. Rien à signaler.
23 mars. En examinant une cellule de couvain dont lopercule présente un petit trou, je vois la tête dune chenille de la fausse-teigne. Les abeilles ébauchent le calice de gland dune nouvelle cellule royale.
26 mars. Très nombreuses naissances. Les abeilles ont abandonné la cellule royale.
30 mars. Japerçois la reine; elle a labdomen allongé, presque effilé. Les gâteaux de cire des quatre châssis atteignent la partie inférieure de la ruchette. La colonie occupe un volume de 6 à 7 litres; chaque cadre compte environ 4.500 cellules, au total 18.000. Laugmentation me paraît dérisoire depuis le 23 février.
6 avril. Jajoute un châssis avec une feuille de cire gaufrée. La température extérieure est très douce, nous sommes en plein printemps. La ruchette sera laissée en permanence en dehors de létuve.
OBSERVATIONS. La mortalité des jeunes abeilles doit être considérable, si nous en jugeons par la faible augmentation de la colonie, en dépit des miellées naturelles et du sirop de sucre distribué.
CRITIQUES. Nous ne faisons pas assez attention à la présence de cette chenille de la fausse-teigne. Comment est-elle venue dans la ruchette ? Il doit y en avoir bien dautres.
Sixième mois (du 7 avril au 7 mai 1943)
7 avril. Toutes les parois des cellules de la cire gaufrée ont été exhaussées pendant la nuit, comme dans le châssis précédent.
8 avril. En prévision de laugmentation de la population, jajoute un sixième châssis. Lessaimage naturel bat son plein dans les colonies du rucher à lextérieur.
10 avril. Les abeilles sont très actives; elles apportent du pollen en masse et pompent de grandes quantités de sirop de sucre. Le nombre des abeilles naugmente pas comme je le prévoyais.
14 avril. Un petit rayon de cire est commencé dans le 6e châssis. Présence dufs dans les cellules de la cire gaufrée du 5e châssis. Sortie massive de jeunes abeilles en même temps faisant leur vol de repérage.
18 avril. Continuation du gâteau de cire du 6e châssis. La reine y pond.
25 avril. Ponte des ufs parthénogénétiques; résultat déduit de lapparition des mâles qui éclosent le 20 mai.
26 avril. Grosse activité, mais le nombre des abeilles naugmente pas. Je constate de nombreux manques ou trous au milieu du couvain operculé, ce qui est la preuve dune grosse mortalité des larves.
1er mai. Les abeilles ont toujours une très grande activité. Le cadre n° 6 est bâti aux quatre-cinquième; ses cellules sont remplies de nectar. Beaucoup de jeunes abeilles ne doivent pas revenir.
3 mai. Nouvelles sorties des jeunes abeilles.
4 au 7 mai. Malgré les apports importants de pollen, de nectar, la colonie naugmente pas. Elle me paraît lamentable.
OBSERVATIONS. La remarque la plus importante de ce mois, cest la très faible augmentation de la colonie en abeilles, alors quelle devrait être de plusieurs milliers par jour. La saison est cependant favorable, depuis le 5 avril nous avons capturé plusieurs essaims naturels. La mortalité des abeilles est mystérieuse, le fait est cependant incontestable.
CRITIQUES. Cette disparition des abeilles est due à la fausse-teigne.
Septième mois (du 7 mai au 7 juin 1943)
8 au 10 mai. Apports de pollen, pas de miel operculé.
13 mai. A partir de cette date nous distribuons le sirop Codex en le comptant par litre.
19 mai. Gros apports de pollen. Présence dufs dans les cellules extérieures du 6e châssis.
20 mai. Japerçois le premier mâle. Luf a du être pondu le 25 avril. Gros apports de pollen.
21 mai. Eclosion des larves issues des ufs pondus le 19; elles reposent sur une abondante gelée blanchâtre. Augmentation de la ponte.
22 mai. Du 18 au 22, les abeilles ont pompé un litre de sirop Codex.
25 mai. Quelques larves sont operculées ainsi que des cellules de miel.
1er juin. Quelques abeilles font la barbe au dehors de la ruche. Un gâteau de cire se rompt. La pellicule de cire du miel est très fine.
6 juin. Très gros apports de pollen. Du 22 au 26 mai, un litre de sirop est pompé ; de même du 26 au 31, et du 31 au 5 juin.
7 juin. Naissances de jeunes abeilles dont les ufs ont été pondus le 19 mai, soit 20 jours. Il y a un raccourcissement qui doit correspondre à lélévation de la température extérieure.
OBSERVATIONS. Très faible augmentation de la population. La reine qui est née en novembre a déjà fait une ponte parthénogénétique, cest contraire aux observations de François Huber.
Huitième mois (du 7 juin au 7 juillet 1943)
9 juin. Je note avec précision un certain nombre de larves reposant sur leur lit de gelée.
10 juin. Toutes les larves ont disparu.
13 juin. Les abeilles apportent du pollen, les pelotes sont très grosses mais informes. Les abeilles travaillent mal.
20 juin. Le miel est operculé partout.
22 juin. Jajoute un 7e cadre.
23 juin. Au cours de la nuit, les abeilles ont sécrété un petit rayon dune demi main. Les cellules ont des pans grossiers qui sont polis par la suite. Quelquefois, le fond dune cellule est humecté de liquide, mais ce liquide sévapore par la suite.
29 juin. Agrandissement du rayon. Il y a de petites et de grandes cellules, elles sont remplies de sirop, pas un uf.
30 juin. Jajoute deux châssis nouveaux. Ruche à 9 cadres. Les abeilles se massent en paquets, mais ne sécrètent pas de cire. Il a été distribué : du 5 au 10 juin, un litre de sirop; de même du 10 au 13; du 14 au 18; du 18 au 26; du 26 au 2 juillet.
OBSERVATIONS. La colonie stagne sans se développer. Depuis le 13 décembre, la colonie a reçu un total de 22 litres de sirop de sucre, son volume ne dépasse pas 18 litres.
CRITIQUES. Cette distribution massive de sirop de sucre prouve bien que rien ne saurait remplacer le nectar naturel pour le développement dune colonie dabeilles.
Le ralentissement de lactivité de la colonie est en rapport avec lélévation de la température extérieure.
Neuvième mois (du 7 juillet au 7 août 1943)
8 juillet. Les petits rayons construits dans les deux derniers châssis naugmentent pas et la reine ne vient pas y pondre.
9 juillet. Examen général, de la colonie. Très peu de couvain. Je capture la reine, elle est petite, maigrichonne, et chose curieuse, elle ne peut pas voler. Je réduis la colonie en enlevant deux cadres remplis de miel operculé représentant 3 kg.
13 juillet. Cette opération a réveillé les abeilles, elles sont de nouveau actives et apportent du pollen en masse. Une cellule royale est operculée (4e jour).
21 juillet. Naissance dune reine qui détruit les autres cellules royales.
2 août. Japerçois 4 mâles. Il y a 24 jours que la colonie a été orphelinée.
4 août. Je vois une très belle reine dune belle couleur dorée, ses ailes sont en parfait état. Elle est âgée de 14 jours.
OBSERVATIONS. La diminution du nombre des abeilles peut être la conséquence dune maladie qui frapperait les abeilles et particulièrement à mon insu.
CRITIQUES. En réalité, et nous en avons eu confirmation toutes les années suivantes, à partir du mois de juin en Tunisie les abeilles entrent plus ou moins en diapause estivale. La température extérieure trop élevée et le degré hygrométrique ne permettent plus un développement normal du couvain dans les petites colonies ce qui est notre cas.
Il me semble également que la ruchette était trop exposée aux rayons solaires.
Dixième mois (du 7 août au 7 septembre 1943)
10 août. Japerçois trois ufs pondus dans les cellules du gâteau extérieur gauche. Reprise de lactivité avec des apports de pollen.
11-12 août. Le nombre des ufs augmente; jen compte jusquà 4 ou 5 par cellule. Les abeilles ébauchent des cellules royales. La ruche est probablement orpheline. A vérifier.
16 août. Quelques larves se développent.
19 août. Beaucoup de larves disparaissent. Je remarque quelles présentent sous la peau de petites taches comparables à « des taches de bougie ». Les larves ne sont pas operculées, elles ont un retard de 24 h.
20 août. Lopercule des larves est bombé. Ce sont des mâles issus dufs parthénogénétiques pondus par les abeilles, devenues pondeuses par suite de la disparition de la reine. La population décroît très nettement.
21 août. Quelques larves de mâles sont operculées dans des cellules qui se rapprochent un peu des cellules royales, mais plus allongées. François Huber les avait signalées. Beaucoup de larves meurent.
28-29 août. Attaque massive de la colonie par des chenilles de la fausse-teigne; par suite de la dépopulation les abeilles ne peuvent plus se défendre. Les fourmis se mettent également de la partie. Jusquà ce jour, elles ne sétaient jamais manifestées.
30 août. Je réduis la colonie à trois cadres, je lui donne un cadre de couvain sans abeille prélevé dans une autre colonie. Au cours de lopération, je capture la reine. Elle est petite, maigrichonne, son corps est tordu, sa 3e patte droite est tordue et paralysée; elle vole à peine, après quelques battements dailes, elle retombe sur le sol.
Dissection :
- oviductes sans développement
- spermathèque vide de spermatozoïdes
- tube digestif normal.
4 septembre. Les abeilles sont redevenues actives, elles ont operculé une petite cellule royale et en terminent une seconde. De très nombreuses nymphes douvrières sont désoperculées.
6 septembre. Entre 12 et 14 heures, operculation de la deuxième cellule royale. Dans une cellule, japerçois plusieurs ufs, les abeilles ont repris leurs pontes parthénogénétiques.
OBSERVATIONS. Nous trouvons ici un bel exemple de la ponte des abeilles. Les trois conditions sont réunies : absence de la reine (ou reine non fonctionnelle), température élevée (le mois de septembre est un des plus chauds en Tunisie), nourriture abondante.
Pourquoi la reine est-elle devenue si petite ?
CRITIQUES. Lélevage des reines ne doit pas se faire sans des conditions précises et une population importante. La saison actuelle ne convient pas du tout à cause de la chaleur.
La belle reine que nous avions vue a dû partir ou périr au cours de son vol nuptial. La reine maigrichonne est probablement une des dernières nées, sa paralysie de la 3e patte est la suite dun combat avec une autre reine. Cette paralysie sest étendue jusquaux ailes doù perte de la faculté du vol.
Le cadre de couvain prélevé dans une autre colonie présente de nombreuses nymphes désoperculées, il était donc infesté de fausse-teigne.
Lattaque massive de la fausse-teigne prouve bien quelle était présente et a miné la colonie. Nous navions pas compris à lépoque toute limportance de ce parasite.
Onzième mois (du 7 septembre au 7 octobre 1943)
9 septembre. Très nombreuses nymphes désoperculées et rejetées hors de la ruche. La colonie très faible est de nouveau attaquée par les fourmis.
25 septembre. Je nettoie de nouveau la ruche pour la débarrasser des chenilles de la fausse-teigne qui grouillent par centaines.
27 septembre. Je capture une reine, elle est âgée de 15 jours. Elle vole, mais difficilement. Les abeilles expulsent des nymphes de mâles désoperculées, mais elles sont de plus en plus inactives et inertes.
La population est réduite à quelques milliers dabeilles.
OBSERVATIONS. Nous assistons à la dépopulation progressive dune colonie frappée de maladie.
CRITIQUES. Il ny a pas de maladie à proprement parler, mais, parasitisme intense par les chenilles de la fausse-teigne. De plus nous avons fait travailler les abeilles à contretemps, à une période où normalement en Tunisie, elles sont au repos.
Douzième mois (du 7 octobre au 7 novembre 1943)
7 au 17 octobre. Les abeilles sont toujours aussi inertes, ne faisant aucun cas du sirop de sucre.
18 octobre. Je vois un petit mâle seul survivant des centaines dufs pondus par les abeilles. La reine est de petite taille, elle est incapable de voler. Je lenlève de la colonie.
Je donne aux abeilles un nouveau cadre de couvain (nombreuses nymphes désoperculées) prélevé dans une colonie puissante.
20 octobre. Les abeilles reprennent leur activité; elles pompent le miel de quelques cellules intentionnellement désoperculées. Elles rapportent du pollen ce quelles navaient plus fait depuis longtemps.
25 octobre. Abeilles très actives, apport de pollen. Les larves se développent normalement. Deux cellules royales, trois ébauches.
26 au 29 octobre. Tout le couvain étant operculé les abeilles redeviennent inactives. Elles couvent avec soin les cellules royales.
31 octobre. A 10 heures, japerçois une reine bien conformée. Une cellule royale laisse pendre un opercule bien découpé, tenant encore par quelques fils de soie. Deux autres cellules royales ont été éventrées, dans lune japerçois une nymphe, lautre est vide, mais je retrouve la nymphe expulsée dans le fond de la ruche.
1-2 novembre. Les abeilles sont de nouveau actives; elles sont brillantes, ont un bel aspect. Apport de pollen. Le sirop de sucre est de nouveau pompé.
3 novembre. Les abeilles sont calmes. Reprise de la ponte des abeilles pondeuses en présence de la reine encore vierge.
4 novembre. Les ufs se dessèchent, la population est trop réduite.
5 novembre. Plusieurs cellules contiennent des larves reposant sur un lit de gelée blanchâtre.
6 novembre. Les abeilles se groupent bien. La reine est âgée de 6 jours.
7 novembre. Les abeilles sont de nouveau actives et apportent du pollen…
OBSERVATIONS. Nous retombons sur des observations déjà faites à plusieurs reprises, notamment la, ponte des abeilles ouvrières.
Conclusions générales
Lobservation pendant une année de cette petite colonie, constamment surveillée, mise à létuve tous les soirs pendant plusieurs mois, nourrie avec la plus grande sollicitude, nous a permis de préciser un certain nombre de points obscurs de la biologie des abeilles : orphelinage, édification des cellules royales, fécondation, développement embryonnaire, larvaire, nymphal, naissance et travail des jeunes abeilles, sécrétion de la cire dans certaines conditions, transformations du nectar ou du sirop de sucre en miel operculé.
Deux notions capitales se détachent de lensemble de ces observations : le rôle du couvain, les ravages de la fausse-teigne.
Ces pages dès que possible !
publié en français
par Payot, Paris, 1951. épuisé. |
par le Docteur Maurice MATHIS
de l’Institut Pasteur de Tunis |