Premier Chapitre de l’Abeille Buckfast en Question(s)

Quelques commentaires sur la nouvelle édition de ce livre de Raymond Zimmer, ami de longue date du Frère Adam, l’apiculteur du XXe siècle

L’Abeille Buckfast
en Question(s)

par Raymond ZIMMER
Horbourg (Colmar), France
1999

Chapitre Premier

Introduction à la
Méthode du Fr. ADAM

L’abeille, d’hier à aujourd’hui

La préhistoire des abeilles débute au
crétacé, il y a environ cent quarante millions
d’années.  A cette époque apparaissent les
premières fleurs; s’installe alors, avec les insectes,
une étonnante symbiose, qui s’est diversifiée et
enrichie jusqu’à nos jours.

Il est plutôt inattendu que l’apparition des insectes
sociaux débute, elle aussi, très tôt.  Il
y a cent vingt millions d’années, les
hyménoptères, (guêpes, fourmis, abeilles
archaïques) prennent leur essor; ce sont les lointains
ancêtres de notre abeille.

L’ancêtre la plus proche ressemblait alors à
une sorte de fourmi ailée, appelée mélipone,
spécialisée dans la recherche de nourriture sur les
fleurs.  Un morceau d’ambre, vieux de quatre-vingt dix
millions d’années, du New Jersey, contient, intact, le
fossile d’un de ces insectes.  Parmi les plus de cinq
cents espèces de mélipones recensées
actuellement dans les climats tropicaux et subtropicaux, il en
existe une qui ressemble à s’y méprendre
à celle du New Jersey.  Plus près de nous, il y
a cinquante millions d’années, nous disposons d’un
ambre de la mer du Nord avec un mélipone qui manifeste des
tendances d’évolution autant vers l’abeille que
vers le bourdon.

Des fossiles provenant des schistes d’anciens marais
d’Allemagne, vieux de vingt-quatre millions
d’années, nous ont fait croire que l’on avait
trouvé la première abeille, proche de celles des
espèces vivant en Inde.  Mais c’était une
fausse piste.  Car on a trouvé récemment, dans
d’autres schistes vieux de quarante à quarante-cinq
millions d’années ce qu’il convient
d’appeler, provisoirement, le plus vieux fossile
d’abeille.  On est effectivement en présence
d’une véritable abeille, morphologiquement proche, elle
aussi, de certaines abeilles indiennes actuelles; et
déjà éloignée de l’ancêtre
mélipone.  C’est un titre de gloire de
l’archéologie que de chercher à contredire sans
cesse, les fragiles preuves qui lui servent de base.

Des fossiles, d’il y a douze millions d’années,
ne font que confirmer qu’une évolution,
extrêmement lente, était à l’ouvre chez
l’abeille.  La planète durant toute
l’ère tertiaire, c.  à d.  depuis
principalement cinquante millions d’années se refroidit
progressivement, pour aboutir aux périodes glaciaires, il y
a un à deux millions d’années.

Les conséquences des refroidissements pour l’abeille
sont nombreuses :

  • elle perd d’immenses régions chaudes ou
    subtropicales et
  • elle disparaît totalement d’Europe.
  • elle ne peut se maintenir que dans les régions
    tropicales et subtropicales de l’Asie.

Avant les glaciations, il y a au moins deux à quatre
millions d’années, une des abeilles indiennes,
l’ancêtre de l’actuelle cerana, amorce une
évolution qualifiée de rapide en regard des
évolutions précédentes.  Elle commence
par acquérir toute une série de capacités
physiologiques et techniques importantes, qui lui permettent
d’affronter les périodes de plus en plus froides et
longues.  Elle « invente » :

  • la régulation de la température du nid à
    couvain, que lui permet
  • la grappe, tout en recherchant à nouveau, à
    l’instar des mélipones,
  • l’abri dans des cavités comme celles des roches ou
    des arbres,
  • en construisant des rayons parallèles,
  • en constituant des réserves hivernales avec un sens du
    rendement qu’elle est seule à partager avec
    l’homme, etc.

La reconquête des régions tempérées
redevient possible, pour cette abeille qui se réinstalle
alors de Chine jusqu’au Japon.  Puis via la Perse et le
Moyen Orient elle pénètre en Europe.

Deux incidents parmi d’autres font que cette abeille
d’origine indienne subira une évolution et une
différenciation accélérées :

  • elle sera coupée de sa souche de départ par la
    formation d’une bande désertique allant de
    l’Afghanistan au Golfe Persique.
  • A peine arrivée en Europe elle doit affronter, en
    l’espace de un à un million et demi
    d’années, quatre grandes périodes
    glaciaires.

On sait que ces successifs coups de chaud et froid sur
l’Europe, ont chaque fois obligé les abeilles
survivantes à se réfugier dans des niches
tempérées du bassin
méditerranéen.  Celui-ci, aujourd’hui
encore, héberge quatorze, des vingt-cinq races
d’abeilles recensées.  Elles n’ont pas
manqué de se rencontrer, et de se croiser
d’innombrables fois.

Ainsi la Méditerranée a prêté refuge
à Apis mellifica dite abeille noire.  Celle-ci,
certes bien avant les dernières glaciations, est devenue la
championne de l’adaptation et de la résistance au
froid.  Ainsi p. ex. sa robe jaune a muté au noir
pour mieux s’adapter au froid.  C’est encore elle
qui, à la fin de la dernière glaciation a reconquis
tout le continent, des Pyrénées jusqu’à
l’Oural.  Mais au moins une à deux glaciations
auparavant, l’ancêtre des abeilles noires actuelles a,
peut-être, réalisé une autre prouesse.

En effet à considérer la carte de la
présence des différentes races d’abeilles sur la
planète, je propose l’hypothèse suivante :

L’abeille noire a pu s’implanter, la première,
dans tout le continent africain.  Au plus fort des
périodes glaciaires il existait de nombreux passages entre
l’Afrique et l’Europe.  A la dernière
glaciation p.  ex.  la Méditerranée
était à plus de cent mètres en dessous du
niveau actuel.

Plus tard, sa lointaine sœur bloquée au Moyen-Orient
et jusque dans la Péninsule Arabique, a « saisi
sa chance » quand le continent Africain
s’était suffisamment rapproché.  Cette
abeille, davantage habituée à la chaleur, ayant
gardé sa robe jaune, a alors pénétré,
à son tour, le continent africain.

Vu ses prédispositions pour les tropiques cette abeille
jaune a évincé l’abeille noire venue plus
tôt d’Europe.  Un scénario similaire a eu
lieu, sous nos yeux, en Amérique du Sud.  En quarante
années les abeilles de races européennes ont
été balayées des régions tropicales et
subtropicales, par l’abeille africaine scutellata
importée par l’homme.

Il subsiste dans les montagnes africaines, tel le Kilimandjaro
ou les Monts Moutchinga, ou les hauteurs d’Ethiopie,
etc.  une abeille noire, relativement douce.  Il
s’agit d’une population relique de l’ancienne
abeille noire.  Elle est essentiellement
protégée de l’envahissement de l’abeille
jaune par des températures nettement moins chaudes des
forêts d’altitude.

Ces reliques d’abeille noire, ne peuvent s’être
développées à partir des abeilles jaunes, trop
différentes et dont on constate seulement les effets des
croisements naturels avec cette dernière. 
L’abeille noire n’a pas pu davantage traverser, par la
suite, les vastes régions qu’occupe l’abeille
jaune pour venir s’installer sur les hauteurs.  Ces
dernières moins hospitalière et plus froides, ont
d’ailleurs souvent fonctionné comme ultime refuge aux
espèces menacées.

L’abeille noire d’Afrique du nord,
protégée par l’Atlas, vient renforcer
l’hypothèse.  A la fin de la dernière
glaciation, la Méditerranée a donc été
la grande zone de repli de toutes les races d’abeilles
d’Europe.  Les croisements et aussi les
différenciations ont été nombreux.  Un
bon exemple est l’abeille sicilienne appelée
sicula
.

La Méditerranée, étant donné le bas
niveau de l’eau, était coupée en deux bassins
lors de la dernière glaciation.  Entre les deux
s’était établi un passage qui englobait
l’Italie du Sud, la Sicile, et l’Est Tunisien. 
L’abeille noire de Tunisie y a rencontré la souche
carnica.  Cela explique pourquoi la Sicile héberge une
race contenant les caractéristiques de
intermissa et de la carnica.  On pourrait
dire qu’il s’agit là d’un bel exemple de
croisement naturel stabilisé.

Les scientifiques ont mis en évidence des parentés
de :

  • intermissa (la tellienne) avec la sicula
    (la sicilienne) puis
  • de la sicula avec la carnica (la grande souche
    carnolienne)
  • puis d’une part avec la carnica avec la
    cecropia
    (la grecque)
  • et d’autre part la carnica avec
    anatolica (l’anatolienne)
  • et  l’anatolica avec l’adami (de
    l’Ile de Crète). 

Le Fr. Adam observe les mêmes parentés entre
:

  • l’abeille noire française et la noire
    espagnole,
  • la noire espagnole avec la noire portugaise
  • la noire portugaise et la noire espagnole avec la
    tellienne.

La surprise vient de la biologie moléculaire qui prouve
que l’influence de l’abeille africaine se détecte,
certes décroissante, jusqu’aux pieds des
Pyrénées via le Portugal puis le Maroc et enfin le
sud du Sahara.

Le Fr. Adam connaissait toutes ces relations entre
races.  Ses travaux et voyages ont puissamment
contribué à les mettre en évidence.  Son
abeille est une sorte de copie, à l’échelle
humaine, de ce que la nature a fait sans relâche durant des
millénaires.

ORIGINES DE LA RACE BUCKFAST

Question : Depuis plus de 22 années la
race d’abeille Buckfast est connue et diffusée en
France.  Votre première édition de ce livre a
paru en 1985.  Il serait donc intéressant de
procéder de nouveau à un tour d’horizon, et de
recueillir le plus grand nombre possible d’informations
à son sujet, et ceci d’autant plus que le Fr. Adam
est mort le 3 septembre 1996 à l’âge de 98
ans.  Ce départ n’est pas sans soulever de
nouveaux problèmes : nous en débattrons.  De
nombreux jeunes apiculteurs voudront également être
informés, d’une manière complète, des
méthodes et systèmes utilisés dans cette
apiculture.  L’élevage, si fondamental en ce qui
concerne l’abeille Buckfast, devra aussi être
abordé dans le large contexte des défis apicoles
actuels.  Mais tout d’abord redites-nous comment et par
qui fut créée cette abeille ?

Réponse : La race Buckfast a
été créée par le Frère Adam,
voilà 80 ans, au monastère de Buckfast, dans la
région du Devon, située au sud-ouest de
l’Angleterre. Cette création n’est pas le fruit
d’un programme génétique particulièrement
élaboré, mais d’une dure réalité
apicole.  En effet, la maladie de l’île de Wight,
c’est-à-dire l’acariose, a complètement
anéanti l’abeille noire anglaise au début de ce
siècle.  En 1917, le Fr. Adam, fraîchement
promu responsable du rucher du monastère, devait donc
dès le début faire face à une catastrophe
apicole sans précédent.

Tout le monde ignorait à cette époque
l’origine du mal qui avait également réduit
à quelques unités le rucher du
monastère.  Pourtant une constatation s’imposa
très vite : toutes les ruches survivantes
hébergeaient une reine étrangère ou une
descendance directe de celle-ci.

La race italienne de l’époque, de couleur jaune
cuir, et non jaune clair, dénommée Ligurienne, se
faisait spécialement remarquer par la résistance
à cette mystérieuse épidémie. 
Elle avait été importée au rucher du
monastère juste avant l’épidémie.

A vrai dire le Fr. Adam assistait, désarmé,
à une impitoyable sélection naturelle qui
élimina totalement, en peu d’années,
l’abeille anglaise, la sœur de l’abeille noire
française.  Cette rapide disparition, aussi totale que
radicale, d’une excellente race locale, parfaitement
adaptée à son biotope, a provoqué chez le
Fr. Adam une remise en question des vieux principes selon
lesquels l’abeille du terroir est la plus apte à
affronter les vicissitudes de son milieu !

Dans les ruches survivantes, une reine italienne,
fécondée par des mâles noirs anglais, se fit
remarquer par ses qualités exceptionnelles de butineuse, et
sa résistance à l’acariose.  C’est de
cette souche qu’est parti ce qui devait devenir la race
Buckfast.  Voilà, en résumé,
l’origine de cette abeille, telle que l’explique en
détail, le Fr. Adam dans ses trois livres :

  • « A la recherche des meilleures races
    d’abeilles »
  • « Ma méthode
    d’apiculture »
  • « Les croisements et l’apiculture de
    demain », disponible chez l’éditeur: Abeille de
    France, Editions SNA, 5 rue de Copenhague, F-75008-Paris,
    Tél : 01.45.22.48.42

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