Deuxième Partie
Frère ADAM Extrait du livre Ma Méthode dapiculture, 1978, p 49-91 Traduction de Meine Betriebsweise |
[Retour à la Biblio] | Adaptation française par Paul FLORENCE |
LELEVAGE ET SES OBJECTIFS
LIMPORTANCE DE LELEVAGE
Comme je lai dit dans lintroduction aux méthodes dexploitation, lélevage représente le véritable fondement de notre succès économique. La méthode de conduite du rucher, cest lapplication des mesures permettant de parvenir au rendement maximal en miel, but final de tous les efforts en apiculture. Dans lélevage, par contre, on soccupe des causes héréditaires des manifestations vitales, afin de les encourager ou de les empêcher, selon le besoin de telle ou telle méthode dexploitation.
Nous avons de tout temps accordé la plus grande importance à lélevage, car là seulement se trouvent les possibilités dinfluencer durablement et daméliorer constamment les résultats économiques. Il ny a aucun doute que lélevage aura de plus en plus dimportance, en général, et quil déterminera en fait tous les progrès ultérieurs de lapiculture. Une chose est claire : pour atteindre les résultats souhaités, lélevage doit être mené sur une base réaliste. Ici, le dilettantisme et lenthousiasme seuls ne mènent pas au but. Les exposés suivants se limiteront principalement aux tâches pratiques de lélevage. Nous ne pourrons éviter daborder certains problèmes particuliers dans la mesure où ils motivent nos efforts et sont à la base des succès pratiques obtenus. Toutefois, pour quune exploitation apicole soit florissante, la condition préalable indispensable est dabord lélevage de reines ayant la plus grande force vitale possible. Même le petit apiculteur devrait se préoccuper de cette question.
PRINCIPES DELEVAGE
Lapiculteur dispose de deux méthodes délevage : dune part, lélevage de races ou lignées pures; dautre part, les croisements ou élevage dhybrides. La sélection est le moyen de parvenir au succès et doit être faite quelle que soit la méthode délevage. Il nexiste pas délevage sans tri et sélection. La nature sélectionne de manière sévère et impitoyable. Si nous nous mettons à son école, elle nous apprend que le mode de reproduction des abeilles, ainsi que leur dissémination, sont déterminés de manière à ce quil y ait constamment des croisements et des hybridations. Les accouplements multiples sont certainement le moyen le plus efficace que la nature ait développé dans ce but. Les croisements, surtout à lintérieur dune même race, sont la norme chez labeille à miel.
LÉLEVAGE DE LIGNÉE PURE
Il est tout à fait certain quen pratiquant lélevage de lignée pure, lapiculteur moderne agit à lencontre de la nature. Malgré cela, lélevage de lignée pure est le seul moyen qui conduise au succès dans lélevage des abeilles, bien quavec des limitations tout à fait déterminantes. Comme on le sait aujourdhui, mais sans en tenir compte suffisamment, labeille est extrêmement sensible à la consanguinité. Lintensification de telle ou telle qualité – qui est en fait le but de lélevage de lignée pure – ne peut être obtenue quavec le degré correspondant de consanguinité, ce qui se traduit inévitablement par une perte de vitalité. Laffaiblissement de la force vitale se manifeste de manières très diverses, souvent de façon insidieuse et à peine reconnaissable. Lorsquon pratique lélevage de lignée pure de manière durable, il ne faut surtout jamais perdre de vue le danger dun égarement de la sélection. Pour éviter léchec, tout élevage de lignée pure doit être mené sur un fondement très large. Bien que cet élevage soit généralement considéré comme une fin en soi, jy vois le moyen indispensable au service de lélevage de croisements. Cest ainsi seulement quon peut tirer profit de tous les avantages économiques offerts par lélevage de lignée pure.
LÉLEVAGE DE CROISEMENTS
Si nous considérons dautres domaines de lélevage danimaux et de plantes, nous nous apercevons bien vite que les individus les plus capables proviennent presque sans exception de croisements, et représentent donc des résultats de croisements. En fait, une production telle quon arrive à en obtenir de nos jours, dans tous les domaines de lagriculture, serait impensable sans lélevage de croisements. Il est la clé qui nous ouvre la porte vers des performances et des résultats économiques plus satisfaisants. Sans doute ne pourra-t-on pas nier indéfiniment, en apiculture, les avantages de ce genre délevage; et dans ce domaine, on pourra encore moins se le permettre que dans toute autre branche de la production agricole.
Lélevage de lignée pure occupera toujours une position déterminante dans lapiculture. Il faut dire quon en attend souvent bien plus que lexpérience et le froid raisonnement ne laissent espérer. Il déçoit, il ne peut que décevoir, là où une nette augmentation de la performance est recherchée de façon systématique. Lélevage de croisements, par contre, peut nous procurer à court terme une forte augmentation de rendement.
Dans lélevage par croisement des abeilles, nous sommes confrontés à un certain nombre de problèmes inhabituels, et souvent mis en face de résultats peu courants et inattendus. Par exemple, des croisements réciproques sont rarement identiques. En associant la douceur à la douceur, on nobtient pas nécessairement une douceur accrue, ni même une douceur égale à celle des parents; à loccasion, le résultat peut même être de lagressivité. Mais linverse est vrai également, à savoir que des parents agressifs peuvent engendrer une progéniture exceptionnellement douce. Le grand nombre de résultats inattendus obtenus par lélevage de croisement est sans doute en partie la cause de la confusion des opinions sur sa valeur en apiculture.
Voyons dabord le phénomène inhabituel de la différence entre linfluence maternelle et paternelle. Lexpérience pratique nous a enseigné que la reine exerce linfluence dominante sur sa descendance. Cela est vrai en élevage de lignée pure et en élevage de croisement. Lexemple le plus classique que je connaisse est la transmission de la résistance ou de la sensibilité à lacariose. Avec des reines dune ruche très résistante, la capacité de résistance est inchangée pour la première génération après sa fécondation. Mais il faut dire que dans le cas de mâles issus dune lignée sensible à la maladie, cette sensibilité apparaîtra inévitablement chez des générations plus tardives. Il en est de même lorsquune reine transmet une forte sensibilité. Cette dominance de lhérédité maternelle est dune grande importance pratique dans lélevage par croisement des abeilles. Cela nous permet de contourner ou de modifier certaines caractéristiques par trop indésirables. Cependant, la dominance maternelle ne vaut pas pour toutes les caractéristiques; en fait, elle ne se manifeste pas, communément, de manière aussi nette que dans le cas de lacariose. Nous avons constaté, par exemple, quavec des reines syriennes croisées avec des mâles Buckfast, lagressivité extrême de la syrienne était grandement modifiée; là, linfluence paternelle dominait sur la forme la plus extrême de lagressivité.
Lexemple précité permet de conclure aisément que relativement au caractère, cest le mâle qui exerce linfluence dominante, conformément à lhypothèse courante. Cependant, comme nous lavons déjà fait remarquer, la douceur jointe à la douceur nengendre pas forcément une douceur accrue, mais peut occasionnellement donner lieu à de lagressivité. Par exemple, la caucasienne est universellement reconnue comme la race la plus douce, et pourtant, lorsquelle est fécondée par des mâles italiens, la descendance est disposée à tout sauf à la douceur. La même chose est vraie pour des carnioliennes croisées avec des mâles Buckfast, et aussi pour les croisements réciproques. Ainsi, des croisements issus dune lignée particulière de carniolienne, largement en faveur dans toute lEurope centrale, se sont souvent révélés presque inutilisables dans une exploitation.
La fécondité est également une caractéristique sujette à variations dans le cas dun premier croisement, bien quon soutienne communément quune reine F1 est, de manière invariable, exceptionnellement prolifique. Daprès nos constatations, la vigueur des métisses, ou hétérosis, na pas dinfluence sur la fécondité dans un premier croisement carniolienne x Buckfast, carniolienne x italienne, et carniolienne x grecque. La forme du couvain est peut-être plus compacte, mais il ny a pas, lors de la première génération, daugmentation notable ni de la dimension du couvain ni du nombre dufs. Cependant, une fécondité accrue se manifestera lors des générations suivantes. Dun autre côté, les croisements Buckfast x carnioliennes, italiennes x carnioliennes, et particulièrement grecques x carnioliennes, donnent le résultat opposé dans le premier croisement, à savoir une fécondité très accrue. Les croisements entre chypriotes x Buckfast, anatoliennes x Buckfast, et spécialement grecques x Buckfast, sont des exemples classiques dune augmentation marquée de la fécondité chez une génération F1. Le croisement anatolienne x Buckfast est plutôt surprenant par laccroissement de sa fécondité car les reines de pure race anatolienne sont loin dêtre prolifiques, daprès ce que nous avons pu en juger.
Je pourrais citer maints exemples dexpériences négatives faites avec des métisses de la première génération. Une chose semble certaine : dans le cas de lélevage par croisement de labeille, nous sommes rarement en mesure de prévoir avec une quelconque certitude des résultats spécifiques. Lexpérience seule peut fournir des indications sur les caprices quun croisement particulier peut éventuellement manifester.
Lorsque deux races distinctes sont croisées, on peut y gagner, à part la combinaison dune série de caractéristiques, une qualité supplémentaire dune grande valeur économique, à savoir la vigueur des métisses, connue sous le nom dhétérosis. Sans lhétérosis, en effet, lhybridation perdrait beaucoup de son importance économique. Lhétérosis permet dobtenir les résultats opposés à ceux de la consanguinité : elle augmente à des degrés divers la vitalité, la santé, la croissance et la productivité. Cela est également vrai dans le cas de labeille. Sa grande sensibilité à la consanguinité, et la tendance claire de la nature à éviter les accouplements entre les individus en étroite relation (les formes de consanguinité très étroites, comme elles sont appliquées pour dautres élevages – chevaux, poules, poissons, par exemple – ne seraient même pas possibles avec des abeilles), semblent indiquer que labeille est un sujet convenant particulièrement à lhybridation et à lutilisation de lhétérosis. Il en est bien ainsi, comme lont démontré notre expérience, les preuves accumulées et les résultats positifs des accouplements contrôlés.
LINFLUENCE DE LHÉTÉROSIS
Les points de vue défavorables sur la valeur économique de lhybridation sont basés, je suppose, sur une appréciation incomplète des réactions inhabituelles que lhétérosis déclenche chez labeille. Nous voulons bien admettre que les accouplements dus au hasard, quon voit dordinaire, et les croisements qui en résultent ont peu de choses en leur faveur, bien quil y ait des exceptions et que nous ayons de temps à autre des exemples de rendement sans pareil. Mais ce sont là de purs coups de chance et de hasard, et les résultats fortuits ne peuvent malheureusement pas être reproduits à volonté. Cependant, nos essais daccouplements contrôlés ont révélé que dans le cas de labeille, les rendements économiques les plus satisfaisants ne sont souvent pas obtenus avec un premier croisement, comme dans lélevage danimaux domestiques et de plantes, mais avec les générations de métisses suivantes. Cette exception à une règle universellement acceptée peut être facilement expliquée, bien quà ma connaissance, personne nait encore essayé de le faire.
Il faut se rendre compte que lhétérosis ne renforce pas seulement les caractéristiques désirables, mais également celles qui sont indésirables. Parmi ces dernières, il faut ranger la tendance à lessaimage. Un instinct fondamental comme celui-là tend à dominer sur tous les autres caractères, ce qui fait quun premier croisement gaspille souvent ses exceptionnelles qualités en essaimant de manière incontrôlable. Cependant, cette tendance irrépressible à lessaimage est nettement modifiée en F2, ce qui laisse le champ pleinement libre aux qualités économiquement importantes. Lessaimage représente clairement une disposition héréditaire exclusivement limitée à labeille.
On comprendra mieux les éventuelles conséquences économiquement négatives de lhétérosis, et son rapport avec lessaimage, à la lumière de cet exemple tiré de mon expérience pratique. A une époque, nous faisions des essais avec un premier croisement (des reines issues dune lignée suisse bien connue croisées avec nos propres mâles), et cette année-là, la récolte moyenne par colonie sétait élevée à 45 livres; mais le premier croisement navait récolté que 22 livres. Cette différence énorme était due presque entièrement à la tendance excessive à lessaimage de ce croisement particulier, en dépit du fait que la ruche mère avait une grande réputation de non essaimeuse, dans son pays dorigine. Cet exemple montre que la différence de valeur économique, résultant dune tendance extrême à lessaimage, peut être dune sérieuse amplitude. Cest pourquoi, lorsque nous avons affaire à une ruche inconnue, nous nous sommes donné pour règle, à Buckfast, dessayer de tels croisements dabord sur une petite échelle. Nous agissons de même lorsque nous savons par expérience que dans tel cas lhétérosis accentuera indûment linstinct dessaimage. Du reste, avec des exemples de ce genre, il semble ny avoir rien à gagner par une sélection large basée sur un grand nombre de colonies lors du premier croisement. Daprès nos constatations, les exemples ci-après sont les plus importants dans cette catégorie; mais lors des générations suivantes, que ce soit avec un croisement réciproque ou un accouplement inter se, ils donnent des résultats dune exceptionnelle valeur économique : reines françaises x mâles Buckfast, suisses x Buckfast, telliennes x Buckfast, carnioliennes x Buckfast. Nous avons la preuve que si lon utilisait des mâles dautres races ou lignées, linstinct dessaimage serait encore plus accentué dans le cas de chacun de ces croisements.
Un certain nombre de premiers croisements occupent une place intermédiaire. Chez eux, lhétérosis a une nette influence sur lessaimage, mais la production nen est pas défavorablement affectée, comme avec les cas cités auparavant. je classerai dans cette catégorie les reines chypriotes croisées avec des mâles Buckfast, les syriennes x Buckfast, et les caucasiennes x Buckfast.
Les deux derniers groupes font exception : chez eux, lhétérosis naffecte pas réellement la tendance à lessaimage, et nous pouvons donc retirer, dans ces cas, le maximum de bénéfice de lhétérosis dans un premier croisement. Daprès nos constatations, il sagit de : anatolienne x Buckfast, Buckfast x carniolienne ou grecque; grecque x Buckfast ou carniolienne. Daprès mon estimation, seuls ces derniers croisements ont une importance économique pour la majorité des éleveurs. Notre travail expérimental est principalement basé sur la lignée Buckfast; mais il faut peut-être faire remarquer que des résultats assez semblables devraient être obtenus, selon toute probabilité, en utilisant des reines ou des mâles dorigine italienne.
Jai brièvement traité du problème de lhybridation du point de vue de lapiculteur pratique, et indiqué comment utiliser lhétérosis le plus avantageusement possible. Cependant, lélevage par croisement a bien plus à offrir. Il nous donne les moyens de former de nouvelles combinaisons et de nouvelles races, créées artificiellement. Les nouvelles combinaisons obtenues par léleveur représentent une valeur permanente. A leur tour, les bénéfices économiques dune nouvelle combinaison se manifestent pleinement par une hétérosis renouvelée et accentuée, car plus la ruche parente utilisée pour la formation du croisement est productive, plus lhétérosis est marquée. De plus, chaque nouvelle combinaison fera avancer dune étape le progrès général de lélevage et les recherches économiques de lapiculture.
Il me faut peut-être insister sur le fait que les croisements mentionnés ici furent, dans tous les cas, les résultats daccouplements contrôlés. Notre lignée constituait la base de ces expériences et elle était en même temps le standard, ou mètre-étalon, permettant dévaluer les résultats respectifs. Nous navons cité quun nombre relativement restreint de croisements; en fait, nos expériences de croisement embrassaient presque toutes les races dabeilles connues.
Jai insisté sur le fait quil nétait pas possible, en élevage, de prévoir des résultats avec certitude, et jai relevé que la douceur jointe à la douceur nengendrait pas invariablement une douceur accrue. Mais linverse est également vrai. En 1938, nous avons obtenu une lignée extrêmement douce, à partir dun croisement français x Buckfast. Cette lignée savéra en fait bien plus douce que toute autre jamais rencontrée et se montrait également presque entièrement différente de la ruche parente, à tous autres égards. Elle avait une couleur or profond, et ses caractéristiques économiques étaient aussi parfaites que nous pouvions le désirer. Elle était malheureusement affligée dun défaut majeur : une sensibilité extrême à lacariose, provenant de sa parenté -française, et intense au point de rendre la lignée sans valeur économiquement.
Cela fait près de cinquante ans que je moccupe délevage de lignée pure, et presque aussi longtemps délevage de croisement. Comme lexpérience le montre dune façon constante, la pure abeille Buckfast supporte la comparaison avec toute autre race pour la capacité de rendement. Elle constitue, pour nos essais comparés, le standard, létalon de rendement par rapport auquel sont établies toutes les évaluations. La Buckfast sert en même temps de base pour les essais de croisement. Lorsquelle est convenablement croisée, elle se défend mieux, pour la production, que lorsquelle vient dun élevage de lignée pure. Notons en passant que lélevage de croisement est un thème qui est généralement mal vu dans les pays de langue allemande, mais qui ne provoque nulle réticence ailleurs dans le monde. Dans la littérature allemande, on peut lire régulièrement : “ Des succès sont possibles avec des croisements, pour autant quon se limite à des premiers croisements; mais il faut en tout cas éviter daller au-delà „. De tels avertissements, qui se justifient en partie lorsquil sagit de croisements dus au hasard, se trouvent dans tous les traités sur cette matière. Mais il savère, tout bien considéré, quun tel point de vue nest pas légitime absolument et quil va même à lencontre de la réflexion. Lopinion traditionnelle et courante sur lélevage de croisement, dans le cas de labeille, repose sur deux suppositions erronées. En réalité, il y a très peu de premiers croisements qui se révèlent intéressants dun point de vue économique, ainsi que jai pu le constater lors de centaines dessais avec des croisements contrôlés. Dans la grande majorité des croisements, lavantage économique napparaît quavec F2 ou les générations suivantes. Les auteurs émettant lopinion précitée ne voient pas quil est impossible détablir la moindre comparaison avec dautres êtres vivants, et que labeille occupe une place à part. Le comportement de labeille, comparé à celui dautres êtres vivants, est aisé à expliquer; il est en partie une évidence. Comme on sait, lhétérosis ne favorise pas seulement les bonnes qualités, mais également certaines particularités non souhaitées, comme, dans notre cas, la tendance à lessaimage. Une pulsion naturelle élémentaire de ce genre prédomine sur toutes les autres qualités, avec le résultat pratique quun premier croisement dilapide souvent ses forces en essaimage incontrôlable, causant bien des pertes à lapiculteur. Mais cette tendance extrême samenuise chez les générations ultérieures, et dès lors les bonnes qualités peuvent sépanouir. Dans le cas où lon opère une sélection convenable des géniteurs dans les générations suivantes, le rendement ne se met pas à diminuer, du moins pas dans le sens où on ladmet généralement. Il y a bien sûr des fluctuations dans la production, et ces différences peuvent être importantes. Mais dans lensemble, les résultats sont considérablement supérieurs à ceux atteints par lélevage de lignée pure dont sont issus les croisements. Cest là, du moins, ce que notre expérience nous a enseigné. Sil nen était pas ainsi, lélevage de croisement naurait pas de sens dans le cas de labeille.
Bien entendu, ce nest pas nimporte quel croisement qui mène au succès. Tout ne va pas avec tout. On ne peut pas avancer arbitrairement. Les races et les variétés doivent se compléter harmonieusement, elles doivent saccorder. Il en est également ainsi dans lélevage des animaux et des plantes en général. En ce sens, labeille nest pas une exception. Par contre, elle fait exception en ce que, chez elle, la race utilisée comme père ou mère nest pas indifférente. Les résultats peuvent être très variés. Les croisements dans les deux sens concordent rarement. Contrairement à ce qui se passe chez dautres êtres vivants linfluence femelle a un rôle dominant chez labeille.
Jai fait remarquer plus haut que la majorité des premiers croisements savéraient inintéressants économiquement à cause de leur tendance extrême à lessaimage, causée par lhétérosis. Pour les croisements à but utilitaire ne sont à retenir que ceux dont la tendance à lessaimage ne sest pas notablement accrue. Avec ceux-ci, lapiculteur pratique aura tous les avantages de lhétérosis, en liaison avec les qualités des deux races.
Les premiers croisements ci-après ont donné les meilleurs résultats économiques : Buckfast x carnica, Buckfast x cecropia, anatolica x Buckfast, cecropia x Buckfast, sahariensis x Buckfast. Chez ces croisements apparaissait bien sûr une tendance à lessaimage plus forte que chez les races dorigine, mais sans quelle ait eu une influence notable sur les résultats du travail des abeilles.
Bien que ces cinq premiers croisements aient été pleinement satisfaisants sur le plan économique, il ny en a quun ou deux, en fait, qui puisse entrer en ligne de compte pour une utilisation générale. Ils ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients; la cecropia, sans doute, trouvera diverses utilisations. Les croisements de cecropia se sont révélés anecballiques, féconds et doux, et conviennent surtout pour des régions à miellée précoce aussi bien que tardive.
Dans les exemples précédents nentraient en ligne de compte que les croisements sélectifs, parce que ceux-là seuls peuvent donner des résultats sûrs et fournissant des lignes directrices. Mais la supposition que seuls des croisements de ce genre sont valables économiquement ne se justifie pas. Pour des croisements à but utilitaire, la fécondation au rucher suffit amplement. Le facteur déterminant pour la valeur économique dun croisement est la qualité de la mère délevage. La qualité véritable dune reine délevage de lignée pure nest pleinement mise en valeur que dans lélevage de croisement. Lélevage de lignée pure comme fin en soi est très surestimé. Il ne peut guère répondre aux exigences économiques que nous avons à affronter aujourdhui.
Les croisements multiples, tels quils ont été propagés aux U. S. A., nont pas de réel avantage par rapport aux croisements de races comme nous les pratiquons. De plus, les croisements américains font appel à des méthodes compliquées et coûteuses.
NOTRE BUT DÉLEVAGE
Je viens de tracer les lignes directrices principales servant de base à nos méthodes délevage. Comme on a pu voir, nous ne considérons pas notre élevage de lignée pure comme une fin en soi, mais comme un moyen en vue dun élevage de croisement digne de confiance. Par lélevage de lignée pure, nous essayons dassocier, autant que possible, toutes les qualités ayant une influence sur la capacité de travail. Notre élevage a pour but le plus haut rendement de miel possible par ruche, en liaison avec le moins possible de frais, de travail et de perte de temps.
Le but que nous nous sommes fixé ne consiste donc pas seulement en des qualités ayant un rapport spécifique avec la capacité de travail, mais aussi en des qualités indispensables pour satisfaire notre deuxième exigence, à savoir la réduction des frais, du travail, et de la perte de temps. Sans un but solide, et sans connaissance claire des qualités requises et des possibilités dont on dispose, lélevage ressemble à un navire sans gouvernail en pleine mer, qui, laissé au gré du vent et des vagues, ne pourra jamais atteindre le port. Il me paraît donc tout indiqué de citer lensemble des qualités qui font lobjet de nos préoccupations et de notre travail délevage.
BASES DU RENDEMENT
1. La fécondité
Une fécondité satisfaisante est la condition préalable indispensable de notre but délevage. Un rendement en miel est impossible sans une puissance correspondante des ruches. Une grande fécondité nest dailleurs pas, à elle seule, le facteur déterminant, mais elle nen est pas moins le fondement essentiel pour un bon rendement en miel. Une reine qui nest pas capable détendre son activité de pondeuse sur 9 à 10 rayons Dadant de fin mai à fin juillet ne peut pas répondre à nos exigences. En même temps, lagrandissement du couvain (comme indiqué ci-dessus) doit se faire de manière spontanée, à linitiative des reines, sans nourrissement spéculatif, et il doit se maintenir.
Je sais bien quil existe, dans le monde de lélevage, des opinions contradictoires sur cette qualité. Chez nous aussi, en Angleterre, on a soutenu ce point de vue : “ Nous ne voulons pas dabeilles, mais du miel „. Il est certain que nous ne voulons pas de ruches à “ viande „, mais ce sont bien les abeilles, seules, qui produisent le miel. Plus une colonie est peuplée, plus grande est la probabilité dune récolte maximale, même si la fécondité doit être liée à une série dautres qualités économiques indispensables. Une bonne qualité nécessite le plus souvent toute une série dautres bonnes qualités; il faut une chaîne de qualités, dans laquelle un élément isolé ne peut jamais sépanouir pleinement sans la collaboration de tous.
2. Lapplication au travail, ou lardeur à butiner
Parmi les qualités indispensables, une application infatigable au travail et une ardeur intense à butiner sont nécessaires en premier lieu. Lapplication est le levier qui élève toutes les qualités économiques au niveau de valeurs réelles; elle est sans doute une disposition héréditaire, mais qui dépend en même temps de beaucoup dautres tendances.
3. Résistance à la maladie
Une des tâches les plus urgentes de lélevage est le développement de lignées qui soient dans la plus large mesure résistantes à la maladie, et qui permettent donc de faire léconomie de tous les produits de traitement. Les traitements médicaux ont tous le défaut de navoir quune efficacité temporaire. En dautres termes une fois quon a fait usage de médicaments, il est nécessaire de les donner sans cesse. Nous ne nous en sommes jamais remis aux médicaments pour combattre les maladies. La résistance au mal des forêts aussi bien quà lacariose, résistance que nous avons pu obtenir par lélevage, nous a rendu dinappréciables services. Dans le cas de la nosémose il nest pas vraiment possible darriver à une résistance, mais plutôt à une série dautres qualités qui, ensemble, garantissent à tout moment la force vitale de chaque abeille et de la colonie en général.
Chez les abeilles, il ny a dimmunité que contre la paralysie et le couvain sacciforme. En fin de compte, une résistance qui ne laisse pas surgir un état maladif, et qui exclut par conséquent la mise en péril de la capacité de production, répond pleinement aux besoins de lapiculteur.
4. Paresse à essaimer – Anecballie
Dans la série des qualités de première nécessité, lanecballie vient en seconde place. Du point de vue de lapiculteur professionnel, lanecballie est absolument indispensable. Lessaimage est non seulement antiéconomique parce quil cause du travail et de la perte de temps, mais il empêche aussi darriver aux plus hauts rendements possibles en miel. Lessaimage est réellement le plus grand obstacle pour une exploitation apicole rentable utilisant les méthodes actuelles. Une race qui aurait toutes les qualités souhaitables, mais qui aurait en même temps une tendance irrépressible à lessaimage, na pas sa place dans une exploitation moderne. Toutes les bonnes qualités sont gâchées par lessaimage.
Comme je lai déjà mentionné, lélevage permet de très beaux résultats dans lélimination de la tendance à lessaimage.
Fécondité, application au travail, résistance à la maladie et anecballie sont, à mon avis, les qualités économiques essentielles. Elles sont à la base de notre élevage. Les qualités dont il va être question maintenant ne sont pas parmi les plus indispensables, mais sont néanmoins dune grande importance dans laccomplissement de notre objectif, car chacune delles renforce et augmente lintensité de la capacité de travail définitive.
AUTRES QUALITÉS FAVORISANT LE RENDEMENT
Fécondité, ardeur à butiner, résistance à la maladie et paresse à essaimer sont, à mon avis, les qualités de base ayant une importance économique et représentent notre but principal délevage. En ce sens, les caractéristiques que je vais décrire maintenant ne sont pas essentielles; mais elles sont dune grande importance en ce que chacune contribue, à sa façon, à lintensification de la capacité dune colonie à récolter du miel. Bien que nous devions nécessairement considérer chaque trait et qualité plus ou moins isolément, il ne faut jamais perdre de vue leur interdépendance, leur interaction et leur effet cumulatif sur le rendement. Dun autre côté, une combinaison entière de caractéristiques désirables peut également perdre toute valeur du fait dun défaut majeur.
1. Longévité
Dans la série des qualités pouvant augmenter la capacité de travail, il faut ranger tout dabord la longévité. On trouverait difficilement une autre qualité offrant autant de promesses, dans lélevage, que la longévité. On ne peut contester quil y a là une influence considérable : une longévité accrue, ne fût-ce que de quelques jours, produit une masse dautant plus grande de butineuses, qui permet un rendement relatif bien plus élevé. Selon toute apparence, la longévité a deux origines : a) elle est conditionnée héréditairement, b) une nourriture abondante pendant la période de développement peut y contribuer. Ce sont surtout certaines races, comme lanatolica, la carnica et la mellifica, qui ont une grande longévité, ce qui se manifeste par la longue durée de vie de la reine. Une reine ultra-féconde na quune espérance de vie courte. Une longévité extraordinaire se trouve plutôt parmi les races dont la fécondité est inférieure à la moyenne, par exemple celles mentionnées plus haut.
2. Puissance de vol
Une puissance de vol particulière peut repousser considérablement les limites de laire de vol des abeilles; souvent, cest delle que peut dépendre la possibilité datteindre ou non une source de nectar. Voici un exemple tiré de notre expérience : jusquen 1916 nous utilisions labeille anglaise qui appartenait au groupe de races mellifica, et se distinguait donc par une puissance de vol hors du commun; nous récoltions presque chaque année des quantités considérables de miel de bruyère dans notre rucher placé dans le jardin du couvent. La limite des bruyères se trouve à 3,6 km du rucher, et il y a une différence daltitude de près de 400 m à franchir. Malgré tout cela, les colonies et les croisements indigènes récoltèrent, en automne 1915, 50 kg de miel de bruyère en moyenne. Depuis cette époque, ce nest que les années où le temps est spécialement favorable que nous récoltons du miel de bruyère dans notre rucher du couvent.
3. Flair
Pour une puissance de vol importante, il faut un flair correspondant. Il est la qualité complémentaire à une puissance de vol supérieure à la moyenne. Sans un flair aiguisé, une abeille ne dépassera quà peine certaines limites dans sa quête de nectar. Cependant, un flair aiguisé a un inconvénient : il peut inciter labeille au pillage. Pour autant que je puisse voir, les deux dispositions sont à peine séparables. Lune occasionne lautre. Une abeille douée dun flair extraordinaire résistera difficilement à la tentation du pillage. Lexpérience montre que les colonies à miel les meilleures sont toujours les premières chaque fois quil y a pillage.
4. Capacité de défense
Une capacité inébranlable dautodéfense est le moyen le plus sûr pour sopposer au pillage. Un sens résolu et hautement développé de la défense est une qualité indispensable, développée avec le plus de force chez les races orientales. Les combats impitoyables que ces abeilles ont à mener contre leurs nombreux ennemis, dont nous avons à peine une idée dans nos climats tempérés, ont sans doute contribué pour beaucoup au développement important du sens de la défense.
5. Résistance aux intempéries et à lhiver
Toute une série de qualités sont reliées à la résistance aux intempéries et à lhiver. Une abeille qui sengourdit facilement en récoltant du pollen ou de leau par un jour de printemps ensoleillé mais frais, est sensible au froid et non résistante. La résistance au froid extrême est moins déterminante : dans la résistance à lhiver, il sagit avant tout de pouvoir traverser de longues périodes avec des réserves médiocres et mal appropriées, et sans vol de propreté. Cette capacité est déterminée dans une large mesure par le comportement de la ruche lors de variations intenses de température et lors de dérangements en général. Dans les conditions climatiques du sud-ouest de lAngleterre, la mellifica et la carnica ont une forte tendance à senvoler de la ruche à la moindre hausse de température. Au contraire, placée dans les mêmes circonstances, notre souche délevage demeure absolument calme. De début novembre à fin février, lors du premier vol de propreté, nos ruches sont comme mortes. Tout vol accompli par temps défavorable entraîne – comme lexpérience le confirme – une perte inutile dénergie et de vies dabeilles.
6. Développement printanier
Dans lordre dimportance des qualités, vient ensuite le développement printanier. Inutile dinsister spécialement sur le fait que le mode de développement, précoce ou tardif, est dans une certaine mesure déterminé par lhérédité. Daprès mes estimations, qui sont certainement valables pour nos conditions climatiques, le développement doit se faire, au printemps, sans nourrissement spéculatif. Il ne doit pas davantage se produire avant que le temps soit à peu près convenable. Une fois commencé, le développement doit se poursuivre quels que puissent être les changements de temps. De ce point de vue, le comportement de labeille anatolienne, même croisée, est absolument idéal.
Les ruches à développement précoce gaspillent leur force vitale en senvolant lorsque les conditions sont défavorables; elles dilapident ainsi leur énergie en efforts qui ne mènent à aucun avantage économique, et qui, à vrai dire, ont souvent des résultats fâcheux. On sait que les ruches à développement précoce sont bien plus exposées à la nosémose que les ruches à développement plus tardif. De plus, ces dernières dépassent le plus souvent les ruches à développement précoce pour ce qui est du nombre de la population, cette puissance survenant dailleurs au bon moment, puisquelle naura pas gaspillé sa force vitale avant lheure et inutilement. Lapiculteur moderne a besoin dune abeille qui ne nécessite pas de nourrissement spéculatif et dont le développement printanier ait lieu spontanément. De cette manière, il sépargne également tous les risques, frais et travaux liés au développement artificiellement provoqué. Le maintien dune puissance maximale jusquà la fin de lété doit être également le fait de linitiative de la ruche.
7. Sens de lépargne
Au développement saisonnier des ruches doit être rattachée la qualité importante du sens de lépargne. Nous trouvons là de grands extrêmes. La carnica, dune part, la ligustica, dautre part représentent les exemples classiques. Les élevages américains de ligustica se montrent incroyablement gaspilleurs, lanatolienne par contre est encore plus économe que la carnica. Il ny a aucun doute que le sens de lépargne est une qualité médiocrement représentée dans les souches délevage actuelles, et cela pour le plus grand inconvénient de lapiculteur, dun point de vue tant économique que pratique.
FONT SIZE=+2>8. Capacité dautosubsistance
Etroitement liée au sens de lépargne, la tendance à lautosubsistance est une qualité qui ne doit en réalité se manifester que vers la fin de la miellée principale. Si la chambre à couvain était trop pourvue de miel à une autre époque, cela aurait de gros inconvénients. Daprès mon expérience, cette qualité apparaît le plus fortement chez la carnica et le moins chez la ligustica. Nos besoins saccomodent le mieux dune moyenne entre ces deux extrêmes. La quantité de réserves récoltée au retour des bruyères joue toujours un rôle important dans nos évaluations délevage.
9. Disposition de lemmagasinement du miel
La disposition de lemmagasinement du miel est un maillon supplémentaire dans la chaîne des qualités; elle est très étroitement liée à la capacité dautosubsistance.
Nous constatons deux sortes de disposition : à proximité du couvain, et loin du couvain. Nous nous efforçons dobtenir, par lélevage, dans un premier temps la disposition loin du couvain, en liaison avec la disposition à proximité du couvain vers la fin de la miellée principale. La disposition loin du couvain favorise lardeur à construire des rayons et lardeur à butiner. Elle prévient en même temps lapparition de la fièvre dessaimage. Un nid à couvain qui ne soit pas limité, de fin mai à fin juin, est une nécessité absolue lorsquon attend une miellée tardive. A lépoque de la miellée de bruyère, le sens de lautosubsistance provoque un emmagasinement correspondant des réserves dhiver dans le nid à couvain.
10. Lardeur à construire
Lardeur et la vivacité à construire des rayons est une qualité très précieuse. Une ruche paresseuse pour la construction est vouée à des activités infructueuses. Par contre, lardeur à construire stimule lesprit de travail. Il y a des différences très importantes, dans lardeur à construire, entre les diverses races et souches. La plus active est certainement langlaise. Elle construit non seulement avec une rapidité remarquable, mais encore avec une perfection quon voit rarement ailleurs. Nous avons réussi à maintenir cette qualité, dans une large mesure, dans notre souche.
11. Lardeur à récolter du pollen
Lardeur à récolter du pollen et lardeur à récolter du miel ne sont pas dintensité identique. La ligustica nest visiblement pas une thésauriseuse de pollen. On trouve rarement un excédent de pollen, même dans des régions riches en pollen comme les nôtres, dans une ruche ditaliennes. Par contre, labeille anglaise était tout à fait remarquable pour amasser du pollen, de même que la française, qui a même la tendance dapporter le pollen à travers la grille à reine pour le stocker dans les chambres à miel, ce qui ne se produit guère chez dautres races. Cette ardeur phénoménale de labeille française à amasser du pollen est héréditaire. 11 serait rentable de développer cette qualité dans des pays ou des régions pauvres en pollen et là où le pollen joue un rôle économique particulier. Chez nous, en Angleterre du sud-ouest, une forte tendance à emmagasiner du pollen est nettement un défaut.
12. Longueur de la langue
Dans les régions où lon cultive le trèfle rouge, la longueur de la langue a une importance déterminante. En Angleterre du sud-ouest, il ny a pas de trèfle rouge. Mais dans dautres régions, surtout dans le Norfolk, on fait de temps à autre des récoltes de miel tout à fait remarquables à partir de cette source de nectar. Du fait quen Angleterre lapiculture se pratique en général avec labeille italienne, on parle très peu de la longueur de la langue.
En dehors du trèfle rouge, la longueur de la langue na aucune importance, pour autant que je sache, par rapport aux autres sources de nectar. Le miel tiré du trèfle rouge nest pas de qualité extraordinaire; très clair et sans goût, il est par contre excellent pour les réserves dhiver.
Il faut mentionner ici une particularité de certaines races dont léleveur doit tenir compte, du moins dans les pays où la couleur du miel en détermine le prix : il existe des races qui ont tendance à rassembler du nectar ou du jus de moindre qualité là où, dans des conditions de miellée identiques, la ligustica et la cypria tirent du miel de la plus fine qualité. Les miels de miellat ainsi que les mélanges ne trouvent pas preneur dans les pays anglo-saxons.
QUALITÉS AYANT UNE IMPORTANCE SUR LE PLAN DE LA TECHNIQUE DEXPLOITATION
Jen arrive maintenant aux qualités qui nont pas dinfluence sur la capacité de travail ni sur les résultats des récoltes, mais qui sont néanmoins indispensables pour la réalisation des objectifs que nous poursuivons dans lélevage et qui concernent, en deuxième lieu, les aspects de technique dexploitation. Il sagit spécialement des qualités qui allègent le travail de lapiculteur, mais aussi de celles dont limportance est purement esthétique.
1. Douceur
Bien que des points de vue souvent opposés soient soutenus au sujet des différentes qualités, on saccorde généralement à reconnaître la valeur de la douceur. La tendance à piquer rend beaucoup plus difficile le travail de lapiculteur et cause une perte de temps économiquement désavantageuse, indépendamment des harcèlements continuels et désagréables des voisins. Par bonheur, la douceur est une qualité héréditaire, qui peut être facilement obtenue par lélevage.
Dun croisement comprenant les abeilles les plus furieuses et les plus violentes, on peut faire sans difficulté les abeilles les plus douces, en lespace de peu de générations. Cependant, ce nest pas seulement la tendance à piquer que nous voulons éliminer, mais également la tendance à attaquer, telle que la manifestent certaines races, par exemple, en Europe, surtout la mellifica. Il est bien connu quà proximité de cette abeille, on risque toujours dêtre piqué sans la moindre raison. Cest là un trait caractéristique de cette race. Chez certaines races, surtout orientales, sajoute encore la tendance hautement développée à la poursuite.
2. Calme et tenue sur cadre
Il y a deux autres qualités qui facilitent beaucoup le travail : un comportement calme et la tenue sur cadre des abeilles. La mobilité extrême de certaines races et souches cause des pertes de temps lors du travail dans la ruche; par exemple, elle rend très difficile la recherche de la reine. La carnica est lexemple classique de la douceur, du calme, de la tenue sur cadre et de la tranquillité.
3. Non-utilisation de propolis
Une des caractéristiques les plus désagréables et les plus haïssables de labeille est la tendance, très développée chez la plupart des races, à enduire tout lintérieur de la ruche avec de la propolis. Cette activité, tout à fait inutile dans une ruche moderne, complique le travail de lapiculteur. La carnica, du moins certaines souches, utilise de la cire au lieu de propolis; cest là, à mon avis, une caractéristique typique de lauthentique carnica, à laquelle il faudrait accorder davantage dimportance dans lélevage. Chez nos souches délevage, la pulsion à produire de la propolis a été largement éliminée.
4. Sens de la propreté
Non seulement le sens de la propreté facilite le travail de lapiculteur, mais il comporte encore dautres avantages importants. Les expériences américaines sur la lutte contre les maladies du couvain et leur prévention ont clairement démontré que la résistance à la loque, du moins dans le cas de la loque américaine, repose pour beaucoup sur le sens hautement développé de la propreté. Une abeille qui tolère davoir des rayons en partie détruits, et il y en a, na quun sens de la propreté très faiblement développé. Sans aucun doute, la résistance contre la teigne de la cire est également obtenue par un instinct éveillé de nettoyage.
5. Régularité des rayons
Lédification de ponts en cire dans lespace séparant deux rayons, et les lattes des cadres des planches couvre-cadre, est bien la caractéristique qui a les répercussions les plus désavantageuses sur le travail de lapiculteur. Ce grand défaut apparaît plus ou moins chez toutes les races, le moins chez la cypria, et de la façon la plus marquée chez la caucasica. I1 est pratiquement impossible, après une période de miellée, douvrir une ruche de caucasiennes sans utiliser un lève-cadre, et chaque rayon doit être extrait par la force. Les rayons irréguliers ne rendent pas seulement le travail plus difficile, mais ils provoquent encore lécrasement dun grand nombre dabeilles, et quelquefois de la reine, ce qui pousse les abeilles à piquer furieusement. Dans la nature, par exemple dans un arbre creux, la construction de rayons irréguliers a sûrement sa raison dêtre; mais dans une ruche moderne, elle est à tous points de vue un défaut.
6. Operculation haute
Dans les pays où le miel en rayons est recherché, comme en Angleterre, la manière doperculer les rayons à miel a une importance économique. Il existe une diversité presque infinie de formes et de modelés de loperculation. Labeille anglaise offrait un exemple de la perfection dexécution, ainsi que du fini artistique, tel quaucune autre race ny parvenait. Son operculation des cellules à miel était dun blanc immaculé, haute et galbée, avec le pourtour de chaque cellule nettement dessiné. Une bonne carnica a bien des opercules blancs, mais ils sont plats et leur modelé nest guère esthétique. Lobtention par lélevage dune manière particulière doperculer pose un problème. Nous avons bien accompli des progrès importants, mais nous navons pas encore réussi à fixer lidéal. Les opercules du couvain présentent à peu près la même diversité, mais elle est sans importance.
7. Sens aigu de lorientation
Un sens de lorientation hautement développé donne la garantie que les abeilles rentrent bien chacune dans sa ruche, ce qui évite les nombreux inconvénients et les risques causés par légarement. Dans les régions où les ruches sont habituées depuis des temps immémoriaux à être proches les unes des autres, comme cest encore le cas de nos jours au Moyen-Orient, légarement est pratiquement inconnu. Au cours de centaines de milliers dannées, la nature a éliminé les individus ayant un sens défectueux de lorientation. Les cas les plus remarquables dun sens de lorientation hautement développé se trouvent chez les races syrienne, chypriote et égyptienne, à un degré moindre chez la carniolienne et encore moins chez litalienne. Jai déjà mentionné les conséquences indésirables de légarement. Les risques quil implique peuvent être diminués, dans une certaine mesure, par une disposition irrégulière des ruches. En de tels cas, un sens de lorientation très développé nest pas à ce point important, mais reste une faculté de grande valeur quand il sagit déviter de fâcheuses pertes de reines revenant de leur vol nuptial. Les pertes ainsi subies permettent dapprécier de manière assez exacte la capacité dorientation manifestée par différentes races ou une lignée particulière. Dans nos essais comparés, ce sont les races orientales qui se classaient nettement en tête. Fin août 1920, alors que les conditions étaient fort peu favorables, nous avions un lot de 110 reines chypriotes dont une seulement ne revint pas. En général, les pertes moyennes sélèvent à 18 %.
Ce sont là les principales qualités prises en considération dans le développement de notre lignée et dans lélevage de croisements. Il y a de nombreux autres traits et dispositions génétiques, désirables et indésirables, mais il ny aurait guère dintérêt à les citer ici, puisque leur importance est surtout dordre scientifique plutôt que pratique. Disons enfin que labeille, comme on peut le supposer, nest pas exempte de singularités ni danomalies.
En définitive, le rendement dépend de linteraction de toute une série de dispositions héréditaires; plus ces facteurs se complètent lun lautre, plus le rendement est élevé. Nous naccordons guère dimportance particulière aux caractéristiques externes ni à luniformité de couleur; il y a pourtant des indications utiles dans la synthèse de nouvelles combinaisons.
Jai maintes et maintes fois attiré lattention sur les traits particulièrement précieux de lancienne abeille anglaise. On ne saurait nier que cette abeille était dotée de nombreuses qualités presque hors ligne. En fait, au cours de mes travaux, je me suis donné certaines de ses caractéristiques comme modèles de perfection. Mais comme nous lavons vu, elle possédait en outre de nombreux traits également importants quon trouve chez dautres races. Labeille anglaise ne pouvait cependant prétendre à la supériorité absolue; en fait, elle avait de nombreux et sérieux défauts. Il est tout à fait erroné de supposer quune abeille indigène doit être nécessairement excellente dans son habitat dorigine. Pour affirmer cela, on se base dhabitude sur lhypothèse quau cours de milliers dannées, la sélection naturelle aurait produit une abeille adaptée le mieux possible aux conditions particulières de son environnement. Malheureusement, cet argument plausible est basé sur un présupposé faux.
Comme nous lavons déjà fait remarquer, la nature ne sélectionne nulle part en vue du rendement, encore moins en vue de produire le type le plus productif possible. De tous temps et partout, la nature a tendu exclusivement vers le maintien et lextension des espèces. De plus, elle ne peut en aucune façon réaliser ce dont est capable léleveur de notre temps, cest-à-dire faire apparaître et développer un facteur particulier qui ne soit déjà présent chez un individu. La nature ne peut pas davantage réunir les différentes races ayant des caractéristiques spécialement valables et dont les habitats se trouvent en des parties très différentes du monde. Elle laisse cette tâche et la réalisation de ces immenses possibilités à linitiative de lapiculture moderne.
CONTROLE DU RENDEMENT
Si jai décrit de manière assez détaillée les qualités que nous exigeons pour nos abeilles, cest quil est impossible que nous puissions atteindre notre but sans une connaissance claire et globale à ce sujet. Il est certain que le petit apiculteur ne peut utiliser des connaissances de ce genre que de manière limitée. Cependant, lui aussi doit pouvoir se représenter correctement lenjeu véritable de lélevage. Cest là une condition préalable élémentaire, sans laquelle un élevage ne serait guère profitable.
Nous appuyant sur ces connaissances, nous pouvons aborder maintenant la question du contrôle du rendement.
Dans lélevage de labeille, aucun résultat positif, significatif économiquement, ne peut être atteint sans contrôle du rendement, sans essais comparés, sans points de repère concrets. Un contrôle exact du rendement, en élevage dabeilles, est un problème très compliqué. Le contrôle est toujours relatif à telle race, croisement, souche ou lignée; il est de plus relatif à un contexte et aux conditions de miellée. Celles-ci varient fortement dune année à lautre, et aussi dune région à lautre, même si elles ne sont distantes que de quelques kilomètres. Comme on le sait, lorsque lapiculteur parle capacité et rendement, il doit toujours renvoyer à une année précise et aux conditions du lieu.
Mais cest ailleurs que se trouve la source derreur la plus importante au sujet de lévaluation du rendement dans une perspective délevage. Des comparaisons effectuées à lintérieur dune lignée permettent détablir la valeur relative des ruches de cette lignée ayant une origine commune. Cependant, il est impossible de déterminer la valeur réelle sans des essais ultérieurs et dautres points de repère positifs. Ce nest quà laide de comparaisons étendues, effectuées si possible avec plusieurs souches dune même race dans un contexte et des conditions de miellée identiques, que nous pouvons obtenir les points de repère nécessaires à une évaluation correcte du rendement. Sans comparaisons constantes, vérifications des résultats et points de repère positifs acquis sur une base large, tout contrôle de rendement devient facilement un jeu de dupes. Plus on pourra confronter de résultats de comparaisons, plus on entreprendra de comparaisons, et plus le fondement sera sûr, le succès de lélevage assuré.
Comme je lai déjà souligné, notre méthode dexploitation veut éliminer le plus possible toutes les sources derreur. Les ruchers extérieurs sont répartis dans des régions ayant des conditions de miellée différentes. Dans certaines régions, le sol est léger et sablonneux, dans dautres il est de qualité moyenne, dans dautres encore on trouve de la terre glaise lourde. Les années sèches, nous faisons les récoltes les plus riches, du miel de trèfle blanc pur, dans les régions au sol de glaise la plus lourde. Les années où il a beaucoup plu, ces régions ne donnent aucun miel. Dans les régions argileuses, à cause de la grande humidité, lhivernage est toujours peu propice; sur sol sablonneux, cest linverse. Le développement printanier se présente de manière différente dans chaque rucher.
En suivant les lignes directrices mentionnées plus haut, nous utilisons chaque année pour lélevage une quantité de reines qui dépasse, bien entendu, le nombre de celles supposées les meilleures. Les jeunes reines issues des mères délevage sont également, autant que possible, réparties dans les différents ruchers. De cette manière, il est possible de déterminer avec une entière certitude quelle est la descendance ayant lhérédité la plus fidèle et celle ayant le meilleur rendement. Un exemple concret : en 1949, notre récolte moyenne par ruche fut de 145 livres. Mais 22 colonies, ayant toutes des reines issues de la même mère délevage – lune des six mères de lannée précédente -atteignirent une moyenne par colonie de 185 livres, donc 40 livres de moyenne de plus que la moyenne de lensemble des 320 ruches. Le hasard était exclu, car ces 22 colonies étaient réparties en nombre égal dans tous les ruchers. La même année, dans les mêmes circonstances et conditions de miellée, une autre différence énorme – mais dans le sens opposé – permit dévaluer les 30 ruches peuplées de croisements de nigra. Comme je lai dit, elles natteignirent quune récolte moyenne de 22 livres par ruche.
Beaucoup dimpondérables, contre lesquels nous sommes impuissants, contribuent au résultat et jouent un rôle dans le rendement obtenu. Un progrès réel nest possible, en élevage, que là où le contrôle du rendement est effectué sur la base la plus large. Sans comparaisons sûres, lélevage de labeille est un risque de premier ordre.
A propos du contrôle du rendement, il me faut aborder à nouveau la question du volume de la chambre à couvain et son importance dans lévaluation du rendement. Une chambre à couvain qui limite lactivité de pondeuse dune reine empêche le plein développement dune ruche et amoindrit sa capacité de travail. En fonction de cette limitation, la puissance effective des ruches est diminuée et uniformisée à un degré à peu près égal; des variations de rendement apparaissent tout de même, causées par des différences de tendance à lessaimage, de longévité, de puissance de travail, de vivacité de travail; mais une uniformisation lourde de conséquences affecte les qualités déterminantes dont dépend la puissance. Des rendements de pointe sont de ce fait exclus, ainsi que le point de repère réel pour lappréciation du rendement et de la capacité de travail. Là où un rendement maximal est entravé en permanence, la capacité réelle échappera toujours à nos efforts. Une évaluation effectuée sur une base ainsi faussée peut mener aux pires impasses. La chambre à couvain Dadant nous a permis dobtenir, en dehors de la production du miel, beaucoup déclaircissements précieux, surtout en ce qui concerne le problème du refus des reines. Il est évident que chez les reines ayant subi un dommage quelconque durant leur stade de développement, ce qui se traduit toujours par une fécondité amoindrie et une durée de vie plus courte, les défauts se montrent plus vite et plus ouvertement dans une grande chambre à couvain. Là, une fécondité amoindrie ne peut passer inaperçue. De tels défauts ne se révéleraient jamais dans une petite chambre à couvain, où la ponte dune reine est de toute façon considérablement limitée.
Dans les ruches où la chambre à couvain est trop petite, de nombreuses erreurs commises par léleveur et de nombreuses conséquences de faux systèmes délevage passent inaperçues. Un autre facteur susceptible de rendre peu fiable lévaluation des capacités est le fait que les abeilles ségarent. En disposant les ruches isolément, et avec des mesures de prévention convenables, on peut empêcher efficacement les abeilles de ségarer. Lorsque les ruches sont empilées et superposées, soit en plein air, soit en rucher pavillon, une prévention réelle est pratiquement impossible, et donc aussi une évaluation exacte des capacités.
CHOIX DES REINES DÉLEVAGE
Les résultats de lévaluation nous fournissent le matériel et les indications nécessaires pour la sélection des reines délevage. Comme je lai déjà dit, nous nous efforçons, dans lélevage comme dans la conduite des ruches, déliminer toute possibilité de hasard et de malchance. Sagissant dune opération aussi importante que le choix définitif des abeilles délevage, des précautions doubles et triples sont de rigueur.
Malgré le très grand prix attaché à un rendement le plus élevé possible, ce nest pas le seul critère déterminant dans la sélection des abeilles délevage. Un rendement remarquable peut, par exemple, être lié à une agressivité plus ou moins irrépressible. De telles ruches, ou leur reine, nentrent pas en ligne de compte, bien sûr, pour nos besoins, à moins quelles naient par ailleurs dautres qualités extrêmement précieuses qui compenseraient ce défaut.
Il nest pas possible de tracer des lignes directrices qui seraient valables dans tous les cas et daprès lesquelles la sélection pourrait se faire. La décision est à prendre dans chaque cas particulier, Une connaissance précise des particularités des races et espèces est la condition indispensable pour une sélection sûre. Dans ce domaine, on accorde beaucoup dimportance à lintuition, une faculté problématique à laquelle je préfère ne pas me fier personnellement. Si lexpérience ma enseigné une chose avec certitude, cest bien que nous ne disposons daucune possibilité de prévoir quelle sera la valeur réelle dune reine pour lélevage.
Nous ne connaissons pas dindices ni de moyens qui nous permettraient de déterminer à lavance lesquelles, parmi des reines ayant eu les mêmes résultats au contrôle du rendement et ayant apparemment les mêmes qualités, ont la plus grande valeur pour lélevage. Le jugement définitif ne peut se faire quaprès examen de la progéniture de ces reines. Par conséquent, nous élevons toujours à partir de plusieurs reines surs. Lexpérience a prouvé que, parmi ces mères délevage, il en est une dont la progéniture surpasse les autres, que ce soit par le rendement ou par telle ou telle qualité souhaitée. Nous en avons un exemple classique dans les résultats des comparaisons effectuées en 1949.
Une sélection de reines délevage sappuyant sur lexamen de séries dabeilles prises dans la progéniture des reines surs donne la garantie de ne pas être sur une fausse voie. La référence aux résultats obtenus par comparaison assure le bon choix des reines. Malgré toutes les mesures de précaution, on ne peut exclure entièrement les éléments décevants; mais lors des comparaisons de contrôle, ils sont aussitôt repérés; ils ne peuvent pas mener sur une fausse piste, ni exercer par la suite une influence négative, comme cela peut arriver si lon sen remet entièrement à lintuition ou si lon se limite à la reine délevage apparemment la meilleure. Un tel danger menace toujours, dans la mesure où lon veut unir le meilleur avec le meilleur. Mais qui donc pourrait obtenir la meilleure reine sans examen de sa descendance et sans comparaisons ? En 1918 parut en Angleterre une petite brochure intitulée “ Let the bees tell you “ (Laissez les abeilles vous le dire !), un ouvrage dapparence modeste, mais extrêmement pratique, sur lélevage des abeilles. Lauteur y montrait quon ne pouvait rien prescrire aux abeilles, mais quelles seules pouvaient donner la réponse juste dans chaque cas.
A ce sujet, jaimerais ajouter la recommandation suivante : que la décision soit fonction des examens et des comparaisons effectués sur la descendance. Cest là, sans aucun doute, le chemin le plus sûr et le secret de tout succès véritable dans lélevage. Sans un examen permanent et des comparaisons répétées, sur une base très large, la sélection des reines délevage reste un jeu de hasard.
Il en est exactement de même pour les abeilles ou les ruches délevage doù proviennent les mâles destinés à féconder les reines. On ne peut jamais déterminer à lavance, avec certitude, quelle ruche pourra procurer les mâles les meilleurs et les plus fidèles pour la transmission héréditaire. Il nest pratiquement pas possible de réaliser des examens délevage et des examens de comparaison des ruches fournissant les mâles. Lévaluation des ruches de mâles est limitée à la généalogie maternelle. Laptitude des mâles à transmettre héréditairement la capacité de rendement se manifeste dans les dispositions pour le travail des ruches-mères dont ils sont issus. Les dispositions héréditaires des mâles correspondent, sans restriction aucune, à celles de leur mère, et lacquis héréditaire de leur mère correspond aux capacités et aux qualités de leurs surs, les ouvrières de la ruche-mère dont est issue la reine.
Les capacités et les qualités des ouvrières actives dans la colonie paternelle, donc des demi-surs des mâles, ne peuvent être évaluées quà lintérieur de certaines limites. Elles sont néanmoins admises lors de la sélection définitive des ruches de mâles, compte tenu du fait que lacquis héréditaire maternel domine sur lacquis paternel.
ELEVAGE DES REINES
Jestime devoir faire quelques remarques sur le fait quil faut absolument rejeter tout artifice dans lélevage des jeunes reines. Jai déjà mentionné les précieuses informations obtenues à ce sujet grâce à lutilisation dun nid à couvain non limité. Au cours des années, notre expérience a nettement prouvé que toute intervention, toute imprudence durant la période depuis le développement de luf jusquà ce que la reine soit fécondée et mûre, influençaient leur capacité, leur endurance et leur longévité futures. Des défauts dorigine ancienne se révèlent de manière très manifeste par une défaillance soudaine ou par une supercédure (remplacement par les abeilles) anticipée. Des dommages moins graves entraînent une limitation plus ou moins grande de la capacité maximale de ponte, avec les répercussions correspondantes sur le rendement. Des dommages de ce genre ninfluencent pas seulement la capacité de ponte et la vitalité des abeilles, elles ont également toutes sortes de suites fâcheuses sur le plan du rendement et de la conduite des ruches. Les pertes de récolte subies de cette manière, le plus souvent en méconnaissance totale des causes, sont assurément incalculables et représentent, sur le plan économique, le point le plus noir de lapiculture daujourdhui.
Comme nos expériences le confirment dune manière constante, une reine qui éclôt dans une couveuse artificielle na jamais autant de vitalité ni de valeur quune autre qui a passé les premières heures de sa vie dans des conditions normales, circulant librement au milieu de la ruche. La différence nest peut-être pas très évidente, mais elle existe dans tous les cas, sans exception. Une reine ayant passé un temps assez long en cage aura également une capacité de travail plus faible quune reine nayant jamais été encagée. Bref, tout artifice dans le domaine de lélevage est à rejeter et à éviter soigneusement par un éleveur qui accorde de la valeur au rendement, à lendurance et à la longévité des reines.
ENTRETIEN ET SOINS DE LA MÈRE DÉLEVAGE
Nous plaçons toujours les reines délevage dans de petites ruches, sur trois ou quatre rayons Dadant. Il y a deux raisons à cela : éviter lépuisement prématuré de ces reines précieuses, et disposer dufs ou de larves délevage ayant la plus forte vitalité.
Dans toute entreprise délevage, la plus grande importance est attachée à létat dans lequel se trouvent les animaux qui fournissent la matière première dune souche; dans notre cas, il sagit de la mère fournissant les ufs ou les larves. Une reine délevage doit évidemment se trouver dans le meilleur état possible. Comme lexpérience la montre, ce résultat ne peut être atteint que par la limitation adéquate de son activité de pondeuse. Les ufs ou les larves dune reine se trouvant dans une grande ruche, où elle pond plusieurs milliers dufs -par jour, nont apparemment pas la même vitalité que les ufs ou les larves dune reine dont lactivité est limitée à quelques centaines dufs par jour. Cest là une évidence, bien quon nen tienne pas toujours compte. Cela a été clairement prouvé par nos essais. La même chose est vraie pour une mère délevage dont la ruche se prépare à la supercédure, ce qui indique nettement un relâchement de la vitalité et a des suites très négatives sur les futures séries. Forts de cette expérience, nous interrompons immédiatement lélevage dès que des signes de ce genre apparaissent. En effet, poursuivre dans ces conditions na encore jamais été payant, et la même chose peut être dite du résultat de toute supercédure.
On a souvent supposé que des reines douées dune vitalité maximale ne pouvaient être obtenues par lélevage quen partant de luf. Cependant, les essais faits ces dernières années pour confirmer cette supposition ont prouvé quil ny avait pas de différence notable, pratiquement, entre les reines issues de luf et celles issues de larves âgées de quelques heures. La méthode de greffage est en tout cas une nécessité inévitable pour des séries délevage plus grandes, comme cest le cas chez nous. Nous avons pu déterminer que lâge de la larve avait une importance, et nutilisons jamais que celles qui ont moins de douze heures.
Nous attachons une grande importance à létat des nuclei où est placée la reine durant la saison de lélevage; ils ne doivent pas devenir trop puissants ni être trop faibles. Sils sont trop puissants, on enlève une partie du couvain avec les abeilles qui sy trouvent, et aussi quelquefois une partie des butineuses, lorsque la miellée est bonne. Quand il ny a pas de miellée et quil faut des ufs et des larves délevage, il est nécessaire de nourrir avec du sirop de miel quelques jours auparavant. Aucune peine ni mesure nest épargnée pour maintenir ces nuclei dans létat le plus propice.
Quatre jours environ avant la date fixée pour le début de lélevage, on accroche dans la ruche contenant la mère un rayon sans couvain préalablement réchauffé afin quil soit plus vite accepté et pourvu de pontes. Puis une inspection a lieu toutes les douze heures, pour constater la présence dufs Dès que le nombre souhaité est atteint, on commence les préparatifs en vue du greffage qui a lieu trois jours après. A ce moment-là, la ruche contenant les abeilles délevage ne doit avoir que peu de couvain non operculé, afin que les larves puissent recevoir, dès les premiers instants de leur existence, une dose plus que suffisante de gelée royale. Il faut quelles nagent dans la gelée royale.
MÉTHODES DÉLEVAGE
La valeur économique de chaque reine est déterminée par la vitalité des ufs et des stades suivants du développement, par la façon dont lélevage a été fait, et par les soins durant la période larvaire et celle du développement ultérieur jusquà la pleine maturité. Des influences défavorables durant cette période peuvent empêcher dans une large mesure le développement de dispositions héréditaires et faire que certaines qualités napparaîtront pas, ou seulement de manière limitée.
La grande majorité des dommages quune reine peut subir durant lélevage nest malheureusement pas visible et ne se révèle que par le détour dun remplacement prématuré de la reine, dune fécondité déficiente et dune vitalité insuffisante causant à lapiculteur des pertes incalculables du point de vue pratique et économique. je crois quaucune des mesures dont nous disposons, en apiculture, nest plus rentable que le meilleur élevage possible des reines, lequel constitue le point central de tous nos efforts.
Il existe un nombre infini de méthodes délevage de reines. La plupart des éleveurs professionnels de reines, dans tous les pays du monde, utilisent actuellement la méthode délevage dans une ruche en possession de mère, introduite en 1898 par laméricain G.M. Doolittle. Nous lavons utilisée également jadis, mais lavons délaissée depuis des années. Cette méthode ne répond pas entièrement à nos exigences, principalement du point de vue de la technique dexploitation. Nous nélevons guère quen grandes séries, à une époque déterminée davance, et avons besoin dune méthode ne dépendant pas du temps et de la miellée, une méthode excluant le plus possible tout hasard et garantissant des résultats absolument sûrs.
LÉLEVAGE DANS UNE RUCHE EN POSSESSION DE MÈRE
Cette méthode délevage repose sur le fait que les abeilles construisent des cellules royales dans les parties de ruche interdites aux reines, au cas où il y a des larves délevage dun âge approprié. Cela fait que toute hausse ou partie du nid à couvain dont laccès est interdit aux reines par un grillage peut être utilisé pour lélevage de cellules royales. Des ruches-magasin ou des ruches type “ auge “ avec accès par le dessus se prêtent le mieux à cette méthode délevage. Cependant, celle-ci est également valable dans un rucher pavillon avec une ruche à deux compartiments, que laccès soit arrière ou supérieur.
Pour obtenir des résultats sûrs, il doit nécessairement y avoir du couvain dans la partie de la ruche où la reine na pas accès; il y faut plusieurs rayons qui, aussitôt éclos, soient remplacés par de nouveaux. Au cas où des alvéoles royales sont fixées sur ces rayons, il faut aussitôt les éliminer. En labsence de miellée il faut nourrir avec du sirop de miel, comme cest le cas pour toutes les autres méthodes délevage. Des ufs ou des larves délevage peuvent se présenter sous les formes suivantes : entaille circulaire dans la cite dun rayon, bande dalvéoles, alvéoles unitaires ou cellules de reines artificielles. Ils sont donnés à la ruche tous les cinq jours. Le grand avantage de cette méthode est que lon peut utiliser nimporte quelle ruche pour lélevage des reines, sans mesures spéciales – sauf celles qui ont été évoquées – et sans perte de récolte. Par ailleurs, on peut utiliser cette ruche, tant quelle est dans létat convenable, pour lélevage ultérieur de séries dalvéoles royales, effectué à cinq jours dintervalle. Néanmoins, en cas dutilisation prolongée, et si lon travaille avec des abeilles ayant tendance à lessaimage, la fièvre dessaimage peut avoir une influence défavorable sur les résultats de lélevage.
Cette méthode a aussi son inconvénient. Malgré toutes les directives, un apiculteur qui na pas de connaissances ne réussira pas toujours à mettre une ruche dans lambiance qui convient pour lélevage. Comme nous lavons dit, la race a également une influence sur les résultats. Un danger subsiste toujours : même avec la plus grande prudence, il peut arriver quon ne remarque pas une cellule royale sur les rayons du couvain, ce qui entraîne lanéantissement et la perte de la série en cours. Si la miellée est bonne, il y a cet autre danger que linstinct de butinage prenne le dessus, ce qui a pour conséquence le relâchement ou même linterruption de lélevage. Il ny a cependant aucun doute : à laide de cette méthode, on peut élever des reines de la meilleure qualité sans grandes dépenses. Le fait que les éleveurs professionnels de reines pratiquent cette méthode dune manière générale prouve quelle apporte satisfaction du point de vue économique.
NOS MÉTHODES DÉLEVAGE
Comme nous lavons indiqué plus haut, nous nélevons quen grandes séries et toujours à une époque déterminée à lavance, qui ne dépend pas des conditions de temps et de miellée. Pour un tel projet, sur lequel repose le succès économique de notre exploitation, il faut de plus éviter toute incertitude et toute possibilité de revers dû au hasard. Un très grand nombre dessais ont clairement prouvé que la méthode délevage décrite ci-dessous répond le mieux à nos exigences.
Comme on le reconnaît généralement, linstinct dessaimage inclut toutes les conditions préalables conduisant au remplacement de reine le meilleur possible. A lépoque de lessaimage règnent également des conditions denvironnement très favorables. La fièvre dessaimage est en fait lexpression naturelle dinfluences optimales. Cependant, nous ne pouvons pas nous en remettre à lépoque dessaimage prévue par la nature ni à linstinct dessaimage. Mais nous pouvons provoquer cet instinct à souhait, ainsi que les conditions les meilleures, à nimporte quelle date prévue. La méthode qui en découle et que nous utilisons actuellement, sans exception, nécessite les mesures suivantes : une ruche quelconque avec 12 rayons Dadant reçoit une deuxième chambre à couvain avec 10 rayons de couvain operculé et couvert dabeilles, ainsi quun rayon de miel de chaque côté, contre les parois extérieures. La future colonie éleveuse a dès lors environ 20 rayons de couvain. Sil devait ne pas y avoir de miellée, il faudrait nourrir. Dix jours plus tard, on détruit toutes les cellules royales de la chambre à couvain supérieure. Cela entraîne les préparatifs dessaimage dans la chambre inférieure contenant la reine. Trois jours plus tard, la colonie géante a atteint létat idéal pour les soins et lélevage de jeunes reines. Le premier jour de lélevage, à dix heures du matin environ, la chambre à couvain supérieure est mise à ta place de celle de dessous. Puis on cherche reine et on transfère dans la ruche éleveuse, par balayage, les abeilles de six à huit rayons, de préférence des rayons avec du couvain non operculé. Après cette opération, la ruche éleveuse contient beaucoup de butineuses ainsi) que des abeilles nourrices en surnombre; de plus, elle se trouve dans une ambiance dessaimage. On sort ensuite la reine et le couvain non operculé, ce qui met la colonie éleveuse dans la meilleure disposition possible pour lacceptation immédiate de larves délevage. La nourriture larvaire que les nourrices ont en réserve est donnée sans attendre aux larves délevage qui sont placées dans la colonie éleveuse deux heures environ après lenlèvement de la reine. De cette manière, il ny aucun danger que soient délaissées, dans les embryons de cellules, les larves minuscules, comme cela arrive souvent avec une autre méthode. Sil ny a pas de miellée, on donne du sirop de miel le temps quil faut, jusquà ce que les cellules royales soient operculées.
Le plus avantageux est de transporter immédiatement la ruche avec la reine, le couvain et les abeilles dans un rucher extérieur, mais ce nest pas absolument nécessaire. Dès que les cellules royales mûres ont été enlevées, onze jours après le greffage, on remet la ruche avec la reine à son ancienne place. La majorité des abeilles de lancienne colonie éleveuse sert à renforcer des ruches de production qui ne sont pas entièrement à la hauteur pour une raison ou une autre, ou bien à renforcer des ruches de mâles et de fécondation. Dans ce dernier cas, avant de les mettre dans la station de fécondation, on fait passer les abeilles par une grille à reines, afin que les mâles natteignent pas eux aussi le lieu de la fécondation.
NOMBRE DE CELLULES ROYALES PAR COLONIE ÉLEVEUSE
Un éleveur aux vues strictement pratiques sintéressera moins au nombre de cellules royales quune colonie éleveuse peut élever quà la valeur définitive des reines utilisées, car en apiculture moderne, rien ne se paie plus cher quune reine de médiocre qualité. Lacceptation des ufs ou des larves délevage dépend de la force, de létat et beaucoup, également, de lorigine et de lappartenance à telle ou telle race de la colonie éleveuse. Par ailleurs, les croisements sont en général mieux disposés à lélevage que les lignées pures. La race sombre européenne et la carnica élèvent relativement peu de cellules royales lorsque lambiance est à lessaimage ou lorsquelles ont perdu la reine. Par contre, les colonies de puissance normale appartenant au groupe de races oriental, spécialement le rameau arménien, acceptent délever de cent à trois cents cellules royales sans que cela porte atteinte à la valeur finale des résultats de lélevage.
Dune façon générale, la grosseur des cellules royales et des reines nest pas en rapport avec leur vitalité et leur fécondité. On sait que les reines de la mellifica sont les plus grosses; mais comparées à dautres races, elles sont les moins fécondes. Par contre, les reines cypria sont plus petites mais extrêmement fécondes cependant. Néanmoins une reine carnica ayant la grosseur dune cypria doit avec raison être considérée comme médiocre.
Toutes nos mesures délevage reposent sur une certaine acceptation minimale. Avec la première méthode, à savoir lélevage dans une ruche en possession de mère dune colonie recouvrant entièrement deux chambres à couvain de chacune dix rayons de standard anglais, on attend, sur 15 cellules greffées, un nombre minimal de dix et une acceptation moyenne de douze cellules royales. Avec la deuxième méthode, à savoir une colonie éleveuse sans reine et en fièvre dessaimage, on attend, sur 60 cellules greffées, une acceptation minimale de 45 et une acceptation moyenne de 55 cellules royales. Pratiquement, nous obtenons toujours un excédent de cellules royales, mais sans surmenage de la colonie éleveuse. Avec la méthode dans une ruche en possession de mère, on peut sans hésiter faire élever une nouvelle série tous les cinq jours; avec lautre méthode, une seule série.
Cest avec de telles méthodes que le nourrissement en miel, dont nous avons déjà parlé, est indiqué. Il faut cependant veiller à ce que la solution de miel ne fermente pas, ce qui aurait des conséquences très graves sur les résultats de lélevage. Il ne faut pas allonger le miel avec plus dun tiers deau, ni le donner en trop grandes quantités à la fois.
ACCOUPLEMENT CONTRÔLÉ
Comme cest le cas dans toutes les sphères de lélevage par sélection, il est impossible dobtenir un quelconque progrès de labeille sans un contrôle effectif des parents tant mâles que femelles. La ruche peut être améliorée par lintroduction dune reine dont la capacité est connue. Effectivement, il suffit de faire un remplacement par des reines prises chez un éleveur dune lignée très productive pour améliorer substantiellement le niveau de la ruche, en dépit des croisements dus au hasard. De plus, si cette pratique est maintenue durant quelques années, les mâles sortant de cette ruche iront améliorer le niveau général des ruches du voisinage. Mais par cette méthode, nous ne faisons quexploiter une lignée dont la capacité est connue; nous naméliorons pas labeille elle-même, nous ne faisons pas délevage au sens strict du terme; nous narrivons à obtenir que la propagation dune ruche supérieure (ce qui est une entreprise très recommandable, la seule qui soit ouverte à la majorité des apiculteurs).
Il ne peut évidemment pas y avoir délevage digne de ce nom, au sens strict du mot, sans un contrôle absolu des deux parents. Cela est vrai aussi, bien sûr, dans le cas de labeille, en dépit de difficultés presque insurmontables. Néanmoins, notre expérience semble avoir indiqué quon peut obtenir quelque chose de valable avec un contrôle limité des mâles. Des travaux plus précis exigent que laccouplement se fasse en un lieu isolé, ou par linsémination artificielle, là où un contrôle absolu et individuel est requis. La première de ces possibilités est ouverte à ceux qui possèdent plusieurs ruches. Avant que notre station de fécondation ait été installée, nous réalisions des accouplements sélectifs satisfaisants en déplaçant toutes les ruches dans lun de nos ruchers extérieurs contenant des reines dune lignée particulière. Quarante colonies produisent une moyenne de 50 000 à 80 000 mâles. Bien que ce nombre ne suffise pas, dans tous les cas, pour assurer des accouplements corrects, les résultats obtenus furent très satisfaisants dans lensemble. Cette méthode de contrôle partiel est particulièrement valable dans les cas où un apiculteur professionnel souhaite obtenir un croisement spécialement productif, par exemple des reines italiennes croisées avec des mâles grecs ou carnioliens. Un tel contrôle limité peut offrir des avantages économiques substantiels, incluant un minimum de dépenses dargent et defforts. Quoi quil en soit, cette forme de contrôle nous semble dune grande valeur pratique. Mais nous nous rendîmes compte que seuls des accouplements en un lieu complètement isolé pourraient répondre pleinement à nos exigences plus précises. La grande proximité de la lande du Dartmoor nous offrit les facilités requises.
LA STATION DE FÉCONDATION
Nous eûmes la chance de trouver un site favorable au cur du Dartmoor, à 17 km environ de labbaye. La station se trouve dans une vallée abritée, sur la pente dune colline face au sud-est, et entourée des trois côtés dune ceinture darbres qui la protègent des vents dominants du sud-ouest et du nord-ouest. Pour une station de fécondation, elle est presque entièrement isolée, les abeilles les plus proches se trouvant à quelque 10 km. De plus, il ny a presque pas darbres ni dhabitations en cet endroit, et la lande ouverte est si déserte quaucun essaim égaré ne pourrait y survivre longtemps. Laltitude de 400 m au-dessus du niveau de la mer contribue à lisolement. Installée en 1925, notre station est constamment en fonction depuis cette date.
Sil procure lisolement nécessaire, un endroit au cur du Dartmoor occasionne aussi, inévitablement, beaucoup dinconvénients et de problèmes. Dun côté, les hivers rigoureux et les conditions climatiques généralement sévères ont lavantage de faire apparaître rapidement tout défaut héréditaire ou toute erreur délevage. Dun autre côté, les résultats effectifs des accouplements sont parfois très décevants, à cause des longues périodes sans soleil et de basse température. Il est en effet arrivé quun lot entier de 520 reines refuse de saccoupler par suite du mauvais temps continuel pendant six semaines. Même lors dun été moyen, nous ne pouvons espérer obtenir un plus grand nombre de lots consécutifs de reines fécondées. Mais ces inconvénients ne doivent pas faire sous-estimer tous les avantages offerts. Les succès remarquables que nous avons obtenus nauraient guère pu lêtre par un autre moyen. Comme cest le cas pour toute entreprise, rien de vraiment valable ne saurait être accompli sans les efforts et les dépenses correspondants.
Il faut bien préciser que lentretien dune grande station de fécondation exige un équipement dun type particulier et des méthodes de conduite. En démarrant notre station de fécondation, nous entrions pratiquement dans un domaine inexploré de lapiculture. Nous ne disposions guère dinformations sûres pour nous guider. Les quelques renseignements disponibles à lépoque, sur la manière de conduire une station de fécondation, savéraient en fait très trompeurs. Le grand mouvement – “ die Rassenzucht “ – inauguré en 1898, en Suisse, par le Dr U. Kramer, sétait laissé emporter, comme cest souvent le cas, par lenthousiasme et des idéaux incompatibles avec la dure réalité. Nous fûmes donc contraints à marcher sur lépineux sentier de nombreuses déceptions et erreurs, avant de parvenir au succès. A lépoque, on savait très peu de choses sur la consanguinité, lélevage de croisements, létendue de vol des mâles et le nombre de mâles nécessaire par ruche, sur la manière sûre de transporter les cellules royales, le type et les dimensions les plus appropriés de nuclei de fécondation, et sur une foule dautres problèmes techniques.
RUCHES DE FÉCONDATION
Le genre de ruches de fécondation utilisé est un facteur très important, non seulement par rapport aux mesures employées pour la conduite des ruches, mais aussi du point de vue de la valeur définitive des reines. La forme et la dimension des ruches facilitent le travail ou bien le rendent plus pénible, mais ils influencent également, pour une large part, la qualité des reines.
Durant vingt ans, jai fait de nombreux essais pour trouver le type de ruche le mieux approprié à nos buts, et en même temps le mieux adapté aux conditions climatiques particulières. Nous essuyâmes pratiquement toutes les formes et dimensions, depuis les plus petites “ sections “ américaines jusquaux ruches de standard anglais, ainsi quune seule ou plusieurs colonies dans une ruche. Durant douze ans, nous avons utilisé avec succès les demi-rayons de standard anglais, à raison de quatre colonies, chacune sur trois demicadres, lun à côté de lautre dans une ruche. Ils se sont avérés très avantageux en été, mais trop petits pour lhivernage. Finalement, après dautres essais, la dimension des demi-rayons Dadant savéra la meilleure, avec quatre de ces demicadres par petite colonie de fécondation.
Les ruches délevage que nous utilisons depuis 1937 sont construites de manière à pouvoir contenir 16 demicadres Dadant. La ruche est divisée en deux, et chacune des deux chambres est à nouveau séparée en deux chambres par une paroi amovible. Il y a donc dans chaque ruche quatre compartiments, recevant chacun quatre demicadres. La surface de rayon de ces demicadres Dadant est de 19×25 cm. Lors dun été normal, ces petites colonies délevage subsistent par elles-mêmes sur quatre demicadres, réserves dhiver y compris. Ils sont assez petits pour tenir en bride la tendance à construire du couvain de mâle, mais en même temps assez grands pour le pré-examen et lhivernage des jeunes reines. Pour bien soigner les jeunes reines et obtenir le développement de leur vitalité maximale, une certaine puissance de la colonie et un certain état de santé sont sans doute une condition préalable indispensable. Les petites ruches à un rayon, telles quelles sont utilisées dans les pays de langue allemande, et qui furent également mises à lessai par nous, ne remplissent pas cette condition. Durant cette période délicate du développement de la reine, un régime consistant principalement en sucre peut difficilement donner de très bons résultats; cela se traduit dailleurs par la courte durée de vie de beaucoup de reines. Le fait que les ruchettes à un cadre sont souvent très atteintes par la nosémose est principalement une conséquence des conditions non naturelles dans lesquelles se trouvent ces petites colonies.
Nous évitons aussi, par principe, toute intervention qui nest pas absolument nécessaire durant la période de développement dune reine. Les cellules royales restent dans la colonie éleveuse jusquà ce quelles aient atteint leur pleine maturité. Le onzième jour après le greffage des larves, on transporte la colonie éleveuse, avec les cellules royales, dans la station de fécondation. Immédiatement après larrivée, les cellules royales mûres sont transférées, avec toute la prudence requise, dans les ruchettes de fécondation. Il nest pas question dutiliser des cages nourricières ni de marquer les reines aussitôt après leur éclosion.
LE TRANSPORT DES CELLULES ROYALES
Comme apiculteur, nous avons tenté, aux différents niveaux, déliminer tous les risques dans la mesure du possible. Cest vrai particulièrement pour lentretien et le transport des cellules royales, jusquà ce quelles soient placées en sûreté dans les nuclei. Les jeunes reines sont facilement blessées lors dun transport sur de nombreux kilomètres, surtout lorsquelles sont exposées au soleil et aux basses températures. Comme nous lavons constaté, on ne prend jamais assez de précautions, car les dommages subis sont, dans tous les cas, irrémédiables.
Nous plaçons les reines dans les ruches construisant les alvéoles royales jusquà ce quelles soient à même déclore, après douze ou vingt-quatre heures. Le onzième jour après le greffage – sil fait vraiment chaud, le dixième jour – toute la ruche ayant construit les cellules est transportée avec la reine dans la station de fécondation.
A larrivée, on déménage un support à cellules à la fois, avec 15 à 20 cellules royales, on le met dans un panier pourvu dun récipient deau chaude, sur lequel les cellules sont enveloppées dans une couverture pour quelles restent au chaud durant la répartition dans les nuclei.
Pour avoir la garantie que les jeunes reines ne seront en aucune manière blessées durant le transport à la station, les ruches contenant les cellules de reines sont placées dans un étui en caoutchouc mousse profond de 7,6 cm, pour absorber les cahots et les vibrations. De plus, la pression des pneus est réduite au minimum. Ce sont là des précautions indispensables et appropriées.
Les abeilles de la ruche ayant construit les cellules sont utilisées pour renforcer les ruches de nuclei ou les colonies de mâles. Il faut donc les faire passer, au préalable, par une grille à reine, afin déliminer les mâles indésirables. Cela seffectue généralement dans laprès-midi du sixième jour après la greffe, avant que les cellules royales soient rassemblées comme déjà décrit. On procède comme suit : la chambre à couvain avec les abeilles est mise de côté et remplacée par une chambre vide. Les abeilles sont brossées des rayons, face à lentrée, ce qui leur permet dentrer à nouveau en passant par la grille. Cinq rayons sont replacés dans la chambre à couvain vide, avec quatre cires dont deux sont placées de chaque côté. Cela laisse de la place aux trois cadres portant les supports de cellules, chacun étant placé entre deux rayons de réserves.
LES COLONIES DE MALES
Depuis lexistence de notre station de fécondation, nous utilisons toujours simultanément plusieurs colonies de mâles. Les raisons principales qui nous ont déterminé à cela sont une garantie accrue dans la sélection des mâles, et une fécondation plus rapide et plus sûre.
Les reines des colonies de mâles respectives sont évidemment surs, les meilleures choisies parmi les surs de la mère-souche délevage utilisée. Chaque colonie de mâles comporte un rayon Dadant avec deux tiers de cellules de mâles, que nous laissons reconstruire chaque année. Un rayon de cette dimension qui serait plein de cellules de mâles exigerait trop deffort de la ruche. Avec six ruches de mâles en tout, la densité de faux-bourdons est, durant la saison délevage du 20 mai jusquau 20 juillet, de 16 000 à 24 000 mâles aptes à féconder, pour un total de 520 reines, chiffre maximum. Cest avec une grande minutie que lon maintient en permanence lambiance et la capacité délevage de ces ruches-père, grâce à des soins appropriés.
Comme lexpérience nous lapprend, une bonne souche délevage a tendance à chasser les mâles en cas de mauvais temps persistant. Pour lutter contre cela, nous effectuons toujours un nourrissage avec du sirop de miel, lors de chaque arrêt de la miellée. En même temps, les ruches-père sont fréquemment renforcées par un apport de jeunes abeilles provenant des ruches délevage de croisements.
INSÉMINATION ARTIFICIELLE
Linsémination artificielle ne supprimera vraisemblablement jamais la nécessité dune station de fécondation. Toutefois les récentes améliorations techniques ont mis à notre disposition de nouvelles facilités de contrôle dune valeur inestimable. Des essais impossibles à réaliser jusque-là sont ainsi entrés dans la pratique, et donnent des résultats absolument dignes de confiance.
CONCLUSION
Méthode de conduite de ruche, abeilles, ruches et élevage sont les moyens sur lesquels lapiculteur moderne de tous pays et climats doit se baser sil veut que son exploitation soit rentable. Ces moyens sont à sa disposition de façon illimitée. Sans eux, il sera partout et toujours à la merci des hasards de temps et de miellée. Grâce à la mise en uvre pratique des moyens cités dans ce livre, on atteindra la pleine mesure de succès et de rentabilité quune entreprise dapiculture peut espérer.
Jai souvent insisté sur le fait que notre succès économique ne reposait sur aucun moyen ni procédé compliqué. Au contraire : la méthode de conduite des ruches est, pour lessentiel, limitée à des soins raisonnables et attentionnés. Pour ce qui est des abeilles, cette méthode vise en premier lieu le rendement; pour les ruches, nous cherchons la construction la plus simple; et pour lélevage, à éviter tout artifice. Nous accordons une grande importance à lexclusion du hasard et de la malchance.
Dans la littérature apicole actuelle, notamment allemande, le terme “ rationnel “ est beaucoup utilisé, et le plus souvent pour désigner des moyens ou des méthodes compliqués; le terme nest donc pas employé dans son sens exact, si lon se place au point de vue économique. La situation actuelle exige que lon donne un sens plus réaliste au mot “ rationnel „. Si quelques-uns des détails que nous avons fournis sur notre exploitation pouvaient servir de points de repère dans cette direction, nos efforts nauront pas été vains.
Encore une remarque pour finir : bien que dans ce livre il ait toujours été question de considérations économiques, ce qui aura peut-être dérouté certains lecteurs, nous ne sommes pas pour autant insensibles à lidéalisme, à ce quil y a de noble et de beau en apiculture. Loin de là. Mais ce quil y a de vraiment beau et de captivant, en apiculture et dans la proximité des abeilles, ne consiste pas en dépenses inutiles dargent, de temps et de travail, mais en une vraie connaissance des besoins de nos protégées et, par suite de ces connaissances, en lutilisation des moyens et des mesures les plus simples et les plus pratiques; ceux-ci constituent en même temps les exigences de base sur lesquelles repose la rentabilité dune exploitation apicole.
Idéalisme authentique et succès économique se complètent mutuellement.