Frère Adam – Toulouse – 2 Février 1991

Varroa : un défi incontournable pour l’apiculture. Il doit être résolu. Quelques voies suggérées.

Varroa : Le Défi Incontournable.

Discours présenté pour
la Manifestation de Toulouse (France)
le 2 Février 1991
[ Original auf deutsch ]
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Frère ADAM KEHRLE, O.S.B.,
Abbaye St.  Mary, Buckfast,
Sud Devon, Angleterre

Adaptation française
Raymond Zimmer

Après votre si aimable invitation à la manifestation d’aujourd’hui, je me suis préoccupé à trouver un sujet à la fois adapté aux nécessités actuelles, mais aussi d’un intérêt général. C’est alors que m’est parvenu le rapport d’un apiculteur professionnel des U.S.A. dans lequel il mentionne la perte par l’acariose de la moitié de son cheptel au printemps 1990. Au même moment, le Bee World, revue apicole scientifique de renom international, publiait sous la plume d’un scientifique américain, un article de fond qui exprimait la crainte que les apiculteurs des U.S.A. aient perdu plus d’un million de ruches durant l’hiver 89/90. Ce même auteur soulignait en outre, que des pertes aussi dévastatrices n’étaient généralement pas attendues. En réalité, ces pertes catastrophiques auraient pu être évitées, si 1’on avait mis en place, suffisamment tôt les mesures de précaution adéquates.

L’acariose a fait ses premières victimes sur l’île de Wight en 1904, d’où elle envahit rapidement l’Angleterre où elle se répand comme une traînée de poudre : tout le Sud-Ouest durant l’année 1913. Notre rucher est atteint l’année suivante. Durant l’hiver 1915/16, nous perdons les deux tiers de nos ruches. Toutefois, les pertes se restreignent sur les populations de l’abeille noire autochtone. Les survivantes sont les abeilles d’origine italienne. Avec la perte de l’abeille du pays — qui est une des branches de l’abeille noire du groupe racial de l’Europe de l’Ouest — nous avons, abstraction faite de l’acariose, vu disparaître toutes les autres maladies de l’abeille. Cette situation s’est maintenue pour quelques-unes, jusqu’à tout récemment.  Ces expériences nous ont imprimé une orientation qui ne s’est pas démentie jusqu’à ce jour.

Au printemps 1977, la présence de Varroa Jacobsoni a été constatée en Europe Centrale. Un acarien, à plus d’un titre, encore bien plus redoutable que 1’Acarapis woodi, responsable de l’acariose. Entre-temps, le Varroa s’est répandu dans presque toute l’Europe, le Proche Orient, ainsi que l’Afrique du Nord. Par chance, on a aussitôt trouvé et mis en action des produits efficaces qui ont certes sauvé les ruches, mais se sont révélés incapables d’éradiquer totalement ce Varroa. En outre, l’apiculture se trouve très menacée par l’apparition probable de résidus toxiques dans cet aliment par excellence qu’est le miel. Cette menace inacceptable ne peut durer à cause des suites qu’elle comporte, sans parler des importants frais et/ou travaux supplémentaires qu’occasionnent les nombreuses applications de produits de traitement durant toute l’année apicole. Or, sans ces soins préventifs, la survie d’une ruche est, actuellement, totalement exclue. Il y a des années déjà, le professeur Engels de l’université de Tübingen constatait que « la chimiothérapie est certes actuellement indispensable, mais elle ne peut prétendre être une solution définitive contre 1a menace du varroa. Seule une réelle résistance héréditaire serait une solution définitive contre les dangers que représente cet acarien. »

La Lutte par l’Elevage et la Sélection.

Le hasard a fait qu’en 1916, au vu des circonstances citées plus haut, j’ai été confronté à des problèmes du même ordre. C’est la dure nécessité qui détermine alors l’action consistant à sélectionner, par le moyen de l’élevage, une abeille résistante à l’acariose. A l’époque, cela représentait rien de moins qu’un problème existentiel. La dure réalité qui me permit alors d’amasser de précieuses expériences, et cela durant 75 années de sélection rigoureuse, ne manque pas de me révéler partiellement la direction des recherches à entreprendre. Il est vrai que, chez nous à Buckfast, les conditions préalables au service de cette cause sont favorables. Cela n’enlève rien aux inévitables défis qui nous attendent sur le plan de l’élevage et de la sélection. Au vu de mes constatations, je puis affirmer qu’il n’y a, pour moi, pas le moindre doute que les résultats déjà obtenus, et les possibilités qui nous sont offertes, justifient les espérances les plus hardies concernant l’obtention d’une pleine et efficace résistance de l’abeille envers le Varroa.

Dans le cas de l’acariose, il nous a été, ipso facto, interdit d’utiliser un remède qui nous aurait enlevé toute différence dans la sélection entre la sensibilité et la résistance. Malgré toutes les recherches scientifiques, nous ignorons encore les causes d’une sensibilité ou résistance à l’acariose chez l’abeille. Par contre, nous disposons d’un bon nombre de solides repères concernant la résistance contre le Varroa. Il est regrettable qu’apparemment, la grande majorité des races d’abeilles qui nous sont bien connues ne manifestent qu’une modeste résistance envers le Varroa. En outre, nous ignorons si celles-ci sont induites par le hasard ou si elles reposent sur une base génétique.

Des recherches brésiliennes nous fournissent néanmoins des preuves positives que les possibilités que nous envisageons plus haut ne sont pas utopiques. Certes, il s’agit dans ce cas de résultats obtenus par le hasard, c’est à dire que la fécondation sélective n’est pas intervenue.

Il m’est donné de connaître toutes les races d’abeilles au Nord du Sahara, mais aussi celles que l’on trouve dans ce désert. Il en est de même pour quelques-unes des races, qui elles se trouvent au Sud du Sahara, y compris la redoutable Apis scutellata.  Pour ce qui concerne cette dernière, je doute fort qu’elle sera intégrée dans les indispensables procédures d’élevage et de sélection.

Notons au passage que des discussions ou explications concernant ce sujet particulier risquent de nous mener à des conclusions et hypothèses erronées. Je peux toutefois signaler que nos recherches actuelles correspondent pleinement à notre attente. Toutefois, pour servir au mieux les vrais intérêts communs, une pareille entreprise ne peut se développer qu’en toute « discrétion » et dans une pleine « sérénité » (tranquillité parfaite).

Les Problèmes Essentiels

La parthénogenèse et la fécondation multiple chez les abeilles représentent un cas particulier par rapport aux conditions générales de la sélection des animaux et des plantes. Toutefois, elle ne présente pas une exception par rapport aux lois de l’hérédité selon Mendel.

Cependant, des accouplements visant à l’intensification d’un caractère donné, tels qu’ils sont admis comme indispensable dans l’élevage des animaux, sont exclus chez l’abeille. La situation se complique encore davantage par le fait que les mâles sont issus d’œufs non fécondés. Cela implique que les millions de spermatozoïdes élaborés par chaque mâle sont génétiquement identiques. Les ouvrières ordinaires d’une colonie, entre elles, sont des demi-sœurs (même mère, pères différents), par contre les filles d’un même mâle, prises individuellement, sont ce que l’on pourrait appeler des super-sœurs, car ce qui leur est transmis par leur père est toujours absolument identique. Par-là même, il advient de temps à autre, qu’apparaissent des individus issus d’une même mère d’élevage ayant une descendance pourvue d’une résistance héréditaire, par rapport à une certaine maladie, tandis que d’autres y sont extrêmement sensibles. Les individus en question sont, notons le, des reines sœurs.

Possibilites d’élevage de Races Pures.

Il est généralement admis que l’utilisation de l’élevage de race pure combiné avec une étroite consanguinité permet d’intensifier certaines qualités bien définies et est en quelque sorte la fin qui justifie les moyens. De petites intensifications (améliorations) sont certes possible par cette façon de faire, mais les effets négatifs de la consanguinité vont aussitôt se faire remarquer. Tout amoindrissement de la vitalité conduit irrémédiablement à une importante réduction du rendement en général. A vrai dire, l’étroite consanguinité est, en ce qui concerne l’abeille, largement antinaturelle.

Avantages de l’élevage par Croisement et de Combinaison.

L’élevage d’une abeille résistante passe, sans aucun doute, par l’élevage de croisement mais aussi de combinaison. Toutefois, cela implique une méthode d’élevage qui présuppose des préalables indispensables. Il va sans dire que l’on doit disposer d’un grand nombre de ruches autorisant, seul, une comparaison complète et une sélection la meilleure possible. Notre sélection s’étend sur près de 700 unités. En plus, il faut une objectivité affranchie de tout préjugé ne se basant que sur des constatations indiscutables. L’intensification réussie implique des laps de temps importants, mais aussi de la patience et de l’endurance assorties d’une détermination inébranlable. Les déceptions sont inévitables. Par contre, cette méthode d’élevage peut révéler des surprises et montrer des résultats desquels il n’y avait, auparavant, pas la moindre trace. Exemple : nous avons obtenu d’un croisement particulièrement agressif et aussi extrêmement sensible à l’acariose, une combinaison qui était réellement incomparablement douce et parfaitement résistante à l’acariose. D’après nos recherches, il nous est permis d’affirmer que nous disposons dans un élevage de combinaison, soumis aux exigences de l’utile, une mine incommensurable de potentialités.

Recherches Académiques.

Régulièrement nous observons de sporadiques recherches faites en laboratoire et présentées comme ayant valeur universelle. Dans ces cas, le travail de recherche proprement dit n’est nullement mis en cause, mais bien son interprétation. Il est évident que les résultats obtenus avec une ruche normale dont les abeilles volent librement sont décisifs.

Une Mission Inévitable (Une mission sacrée – NdTr).

Un apiculteur professionnel américain, au vu des pertes dévastatrices dues à l’acariose, s’est exprimé ainsi :« Nous possédons une abeille qui sur le plan du rendement correspond parfaitement à nos besoins. Par contre, nous n’avons pas une abeille qui peut nous préserver des catastrophiques pertes actuelles.»

Notons que cet apiculteur ignorait que, depuis plus de 40 ans, il existe une race d’abeilles qui s’est amplement révélée comme résistante envers l’acariose. Pourtant, aucune race, exception faite des espèces d’abeilles indiennes ou des variétés africaines, ne résiste au Varroa. Je ne puis m’imaginer que l’apiculture moderne veuille pour toujours se satisfaire de cette impuissance à s’aider soi-même.

Nous sommes placés devant un défi, mais aussi devant la mutation de tout ce qui a été jusqu’à présent l’élevage et la sélection.

Considérations Complémentaires.

Depuis que l’acariose, qui, dans une période de 12 ans, a éliminé pas moins de 90 % des colonies d’abeilles de Grande-Bretagne, il est devenu évident que la nature a, largement et spontanément, éliminé la plupart des populations d’abeilles très sensibles. Toutefois, l’acariose est, encore et toujours, présente. Et elle provoque, comme nous l’avons constaté en 1925, presque immanquablement la destruction des souches jaune clair ou jaune doré. Nous avons ainsi perdu l’une de ces souches que nous avions développées. Dans le cas du Varroa, l’apiculteur doit encore affronter un certain nombre de maladies dites « accessoires » et cela, malgré — ou peut-être à cause — des soins médicaux. Sans trop le dire, nous n’avons, dans notre élevage et sélection, jamais perdu de vue les autres maladies de l’abeille. Ainsi, nous avons obtenu des résultats qui nous indiquent le chemin à suivre. Dans une perspective générale, un rigoureux élevage de croisement et de combinaison nous a conduit au “Genetic Engeneering” le plus prometteur. Pourtant, la réalité nous enseigne que l’élevage de l’abeille, dans toute l’acception du terme, n’a, jusqu’à présent, pas retenu l’attention.  Malgré le fait qu’elle représente la pierre angulaire de 1’évolution présente et future de 1’apiculture.

Discours présenté pour
la Manifestation de Toulouse (France)
le 2 Février 1991
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Frère ADAM KEHRLE, O.S.B., O.B.E.
Abbaye St.  Mary, Buckfast,
Sud Devon, Angleterre

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