Frère Adam — Apiculture à la page — 1970

Adaptation française par Georges Ledent d’un article du Frère Adam sur sa méthode d’élevage des abeilles. 1970.

Apiculture à la page

Extrait de La Belgique Apicole
34(9), 1970, p 209-212
avec leur permission
Article de Frère Adam Kehrle, O.S.B.
St. Mary Abbey, Buckfast,
Devon, GB

Adaptation française : Georges Ledent
Bruxelles, Belgique.
 
 

Le titre ci-dessus est, aussi bien traduit que possible, celui d’un
article du Frère Adam dans le
« British Bee Journal » du 2 mai 1970:
Progressive beekeeping. Et nous nous réjouirons aussitôt de
ce que le prince des apiculteurs de Grande-Bretagne ait encore, et toujours, le
souci aussi vif de se tenir à jour.

Il fut un temps, nous dit-il, où il était fréquent
d’entendre émettre l’opinion: « c’est du
miel que nous désirons, pas des abeilles ! » Sans doute est-ce
d’une idée quelque peu du même genre que part la propagande
qui se fait actuellement en faveur d’un retour à des lignées
moins prolifiques, telles qu’elles puissent s’accommoder de la ruche
à 10 cadres à couvain standard britannique. Le mouvement
s’appuie sur certaines vérités. Toutefois, d’un autre
côté, le fait indiscutable reste néanmoins que, plus
forte est la population
en abeilles du type qui convient, plus grande est
la quantité de provisions accumulées
. En outre, il est
universellement reconnu qu’une colonie deux fois plus forte —
entendons-nous, quant au nombre des butineuses — ce n’est pas
seulement le double, mais bien plus généralement le triple de
surplus qu’elle va emmagasiner.

Il existe notoirement des lignées qui se livrent à
l’excès à l’élevage, en saison et hors de
saison, et les abeilles de ce type ont généralement une vie courte
en même temps qu’elles manquent d’énergie. A
l’autre extrême, nous allons trouver des lignées se
concentrant sur la production de miel, à l’exclusion de
l’élevage. Rarement, voire jamais, elles n’atteindront leur
développement maximum, sauf si un hasard suscite les conditions voulues.
En outre, les colonies de cette espèce, comme l’expérience
le confirme généralement, ont tendance à aborder
l’hiver en condition médiocre, faute de jeunes abeilles
élevées à l’automne.

D’un côté comme de l’autre, d’un point de vue
strictement pratique, il y a de gros désavantages et, comme toujours en
pareilles circonstances, seul le juste milieu est en mesure de donner les
meilleurs résultats économiques, tout au moins dans le cas de
l’apiculteur à la page qui poursuit des rendements maxima avec un
minimum d’efforts et de frais.

Nombre d’amateurs semblent vivre sous l’impression que tout ce
qu’ils ont à faire pour obtenir les meilleurs résultats est
de pourvoir chaque colonie d’une reine de la meilleure qualité et
que le reste suivra automatiquement. Ceci est une illusion et ne vaut pour
aucune branche de l’agriculture. Pour s’assurer les meilleurs
rendements en lait ou en œufs, pour prendre deux cas qui peuvent se
comparer au nôtre, il faut, en plus de l’élevage, un
régime alimentaire soigneusement composé et dosé. Dans le
cas de l’apiculteur, le succès dépend essentiellement de
quelques facteurs, en vérité peu nombreux: une
lignée à haute production, une ruche du format
adéquat, d’amples provisions en tout temps et une
exploitation
qui soit la bonne.

La Lignée ou Race

Il y a probablement autant
d’opinions là-dessus que d’apiculteurs et j’ai
déjà relevé qu’il n’existe pas d’abeille
idéale ni d’abeille qui réponde, partout, à ce
qu’en attend le praticien. En réalité, dans le choix
d’une lignée, nous sommes contraints, inévitablement,
de mettre en balance une qualité par rapport à une
autre; ceci vaut tout aussi bien pour les défauts. Je me
tiendrai à l’essentiel, à ce dont, dans mon esprit,
dépend la réussite en toute forme d’apiculture
intensive, et je ne puis énumérer ici tous les
facteurs et dispositions héréditaires
présents.

Le bon caractère est, pour moi, primordial, bien que sans
influence sur la productivité. Il n’est pas possible, avec des
abeilles agressives, d’exécuter prestement les manipulations
nécessaires, même en faisant abstraction du
désagrément des piqûres jour après jour, bien
inutiles et source d’ennuis avec les voisins.

De fait, je ne tolère jamais une colonie méchante, ayant
mauvais caractère, si bonne soit-elle pour amasser du miel.

Tout de suite après, je place la fécondité.
L’expérience m’a appris qu’il nous faut des reines qui
sauront, au sommet de la saison, tenir couverts de couvain 9 à 10 rayons
du format Dadant modifié. Davantage semble, dans la plupart des cas,
donner des abeilles à vie courte et, l’un dans l’autre, une
vigueur diminuée. Il est nécessaire que longévité et
robustesse aillent de pair avec le degré voulu de fécondité
et de frugalité.

Une abeille non essaimeuse (anecballique) serait l’idéal.
Mais si, tout aussi bien, il n’y a pas de semblable lignée,
l’essaimage a cessé d’être le spectre qu’il
était naguère, là où il est paré à ce
qui l’engendre: un amateur de ma connaissance avec huit colonies,
n’a pas eu un seul essaim depuis plus de 17 ans.

Essentielle est aussi une résistance très
développée aux maladies. Il existe une résistance naturelle
innée, fluctuant dans de larges limites; cette résistance
n’en dépend pas moins de circonstances tenant à
l’environnement. Ainsi, par suite de conditions particulièrement
défavorables ou à cause de quelque négligence, une
résistance innée peut s’effondrer. Il s’agit là
d’un phénomène affectant toute forme de vie, animale aussi
bien que végétale.

Je place au dernier rang la capacité de récolte, pour la
bonne raison qu’elle dépend, dans une très large mesure, des
qualités déjà mentionnées, à
l’exclusion de l’humeur. Le maximum d’industriosité
n’est évidemment possible qu’en conjonction avec une
fertilité en proportion, une propension à ne pas essaimer et
l’absence de maladies. Un sens développé de l’odorat
et du goût intervient aussi, en partie.

Cette combinaison de caractéristiques présente certains
inconvénients, hélas inévitables ! Les abeilles qui les
possèdent vont nécessairement être plus enclines au pillage
en cas de famine. Il y a là un fait que certains apiculteurs ne
trouveront pas à leur goût.

La Ruche

Le modèle et le dessin d’une ruche influent, peu ou prou, sur la
quantité de miel produite. C’est la capacité du nid à
couvain qui détermine, dans une large mesure, le rendement en
miel, — mis à part lignée, méthode
d’exploitation et facteurs tenant à l’environnement.

Le nid à couvain, ou chambre de ponte, doit avoir un volume permettant
à la colonie d’atteindre son plein développement, tel
qu’il est déterminé par la fécondité de la
race ou de la lignée de la reine en place.

Le nid à couvain de la ruche standard anglaise à 10 cadres
était plus que convenable pour les reines de notre variété
indigène antérieure. Il n’est pas assez vaste pour la
plupart des lignées de maintenant. Comme dit plus haut, au plus fort de
la saison, une bonne lignée moderne doit tenir 9 à 10 rayons au
gabarit Dadant modifié ou l’équivalent, en couvain.

À Buckfast, nous nous servons de la chambre à couvain à 12
cadres Dadant, mais la même, à 10 cadres, ferait aussi
1’affaire, le plus souvent. Avant cela, nous utilisions, pour le couvain,
deux corps à 10 cadres du modèle standard anglais. Cela nous
donnait de bonnes récoltes de miel, mais jamais ce que nous avons
atteint, comme moyennes, avec les plus grandes ruches adoptées
exclusivement depuis 1930.

De plus, la conduite des colonies sur deux corps standard anglais prenait
beaucoup plus de temps. Et rien que cela fait que, jamais, l’idée
ne nous viendrait d’un retour à cette ruche. Il ne fait pas de
doute que la capacité du nid à couvain a, sur la quantité
de miel produit, bien plus de poids que l’on ne se le figure
généralement.

La différence de rendement ne sera pas si manifeste lors des
premières miellées annuelles; elle n’en est pas moins
substantielle suivant nos expériences. Durant cinq années, nous
avons équipé trois de nos ruchers extérieurs, par
moitié en cadres Dadant modifiés et par moitié en cadres
standard anglais sur deux nids à couvain. Il nous fallait
précisément cette confrontation avant de nous décider
à passer, ou non, au Dadant.

Il peut très bien se faire qu’avec un seul nid à couvain,
en standard britannique à 10 cadres, on ait une bonne chance
d’avoir une hausse de miel plus vite qu’on n’y arrive avec une
ruche où la capacité du nid à couvain n’est pas
limitée. Il peut même arriver que la récolte, en certaines
saisons, soit supérieure; mais la moyenne générale, sur un
certain nombre d’années, sera substantiellement inférieure
à ce que donnera une ruche qui aura permis à la colonie de se
développer au maximum de sa puissance.

A part cela, pour ce qui nous intéresse, nous, au cours de nos
expériences d’élevage, il est positivement impossible de se
faire une idée de la réelle valeur d’une reine dès
que des restrictions sont apportées à sa
fécondité.

La Technique Apicole

Avec une communauté bien constituée, elle ne requiert ni
caresses ni bichonnage. Un minimum de soins suffit à condition
qu’il soit veillé à l’essentiel: avant tout, beaucoup
de place pour se développer, une quantité convenable de provisions
à toute époque, notamment. Ce stock de vivres lors des
périodes de disette semble être, dans nombre de cas, le
problème crucial. Plus exactement, l’administration d’un
supplément alimentaire, au moment psychologique et dans la
quantité voulue pour assurer un développement sans obstacle de la
colonie et la conservation de sa force, est une nécessité sine
qua non
dans toute forme d’apiculture intensive. Beaucoup
d’apiculteurs ont du mal à accepter cela.

Mais notre climat, coupé de longues périodes de mauvais temps
sans nectar disponible, ne permet pas à une colonie de poursuivre son
élevage à la limite de sa capacité sans aide de la part de
l’apiculteur. Faute de celle-ci, il se produira un arrêt
entraînant une déperdition de force de la colonie, laquelle se
traduit finalement en une diminution de la récolte. Avec les
brèves et intermittentes périodes de beau temps que nous
connaissons, seules, des colonies se trouvant constamment dans les meilleures
conditions possibles, sont capables des moyennes de rendement les plus
élevées.

Quand il est nécessaire de nourrir, que ce soit en doses massives:
deux ou trois gallons de sirop d’un coup, suivant la force de la colonie,
de préférence à une pinte ou deux chaque jour. (1 gallon =
4,55 lt; 1 pinte = 0,568 lt). En technique moderne, il n’y a pas besoin de
stimuler alors que c’était considéré comme
indispensable naguère.


Note du traducteur

Les façons de voir du Frère Adam présentent toujours un
très vif intérêt en raison de sa compétence et de la
part qu’il a toujours faite au praticien; jamais il ne perd de vue le
côté économique de l’apiculture. La position
qu’il prend si résolument à propos des provisions
abondantes, à toute époque, dans la ruche, rejoint la pratique
américaine consistant notamment à coiffer le nid à couvain,
à la mise en hivernage, d’une hausse (pleine) de miel et rappelle
notre De Meyer répétant que les abeilles devaient vivre dans
l’opulence pour qu’on en obtienne, suivant un terme parfaitement
approprié, du rendement.

A propos de ruches, l’opinion et les justifications du Frère
Adam cadrent bien avec l’évolution, un peu partout et notamment en
Europe centrale et orientale vers de plus grandes ruches. Quant à la
technique, l’objectif est d’automatiser, autant que faire se peut,
mais, selon nous, l’acquisition d’un certain « sens de
l’abeille » ne cessera pas de jouer.


Extrait de La Belgique Apicole
34(9), 1970, p 209-212
avec leur permission
Article de Frère Adam Kehrle, O.S.B.
St. Mary Abbey, Buckfast,
Devon, GB

Adaptation française : Georges Ledent
Bruxelles, Belgique.