Frère Adam — 1960 — Congrès d’Apiculture de Cassel

Adaptation française par M. Kiesel d’une partie d’un exposé du Frère Adam au congrès de Cassel (Sept 1960)

Conduite des ruchers à l’Abbaye de Buckfast

Compte-rendu de l’exposé du Frère ADAM au Congrès de Cassel, le 4 Septembre 1960

si vous préférez,
traduisez ici!

 

Article du Frère
Adam, O. S. B.
,
(1898 – 1996)
©
photo Erik Österlund

Frère Adam

Abbaye St. Mary, Buckfast,
Sud Devon, Angleterre.
Traduction et adaptation française
par Max Kiesel,
Bruxelles, Belgique.

Original : Die Biene
Meine Betriebsweise, paru en français,
en 1961, par épisodes,
dans La Belgique Apicole, vol. 25
avec leur permission.

Belg.Apic. 25(5) 1961 p121-125

Dans un numéro spécial publié à l’occasion du centenaire de sa parution, la Revue „Die Biene“ reproduit le texte intégral de la magnifique conférence faite au Congrès de Cassel par Frère Adam, praticien apicole de réputation mondiale.

L’auteur, dans son exposé faisant état des conditions de climat, de flore et de miellée de sa région, nous croyons utile de signaler que Buckfast est situé dans le Devonshire, presqu’île des Cornouailles, au sud-ouest de l’Angleterre.  On y trouve notamment de grandes étendues désertiques, assez semblables à celles de nos Fagnes de la Baraque Michel et du Signal de Botrange (BE).  Ajoutons toutefois que le climat y est beaucoup plus doux que dans nos Hautes Fagnes.

*     *     *

Frère Adam fait d’abord l’historique des recherches qu’il a entreprises depuis 1919, pour aboutir au mode actuel d’exploitation de ses ruches.  Ci-après, nous donnons la traduction des parties de sa conférence qui sont de nature à intéresser particulièrement nos lecteurs.  Les sous-titres ont été ajoutés par le traducteur.

Généralités

Le sujet qui m’a été proposé m’a causé un certain embarras.  A mon avis, le choix d’un mode d’exploitation dépend du but à atteindre; dans notre cas, en tenant compte des conditions de fait, il s’agit de donner à chacune de nos ruches les meilleures possibilités de se développer et de produire au maximum.  En définitive, c’est la sélection qui, chez moi, est la base des succès que j’ai obtenus.

Au cours des années passées, de multiples méthodes de conduite des ruches ont été proposées; mais, après expérience, la plupart d’entre elles ont été abandonnées.  On a finalement conclu que, pour obtenir de bons résultats en apiculture, il faut, avant tout, respecter la merveilleuse organisation et l’instinct immuable des abeilles, en s’abstenant de toute intervention de nature à les contrarier et à les troubler.  Le choix du type de ruche et de la méthode de conduite sont commandés par les conditions de climat de la région, des possibilités de récolte autant que par les particularités de la variété d’abeilles adoptée.  De plus, pour l’apiculteur professionnel, le calcul du temps et des prestations nécessaires par ruche interviendra également dans le choix d’une méthode parce que ces facteurs auront une notable répercussion sur la rentabilité de l’exploitation.  A lui s’impose un matériel simple, d’entretien facile et de maniement aisé.

Mes Débuts

Lorsque, en automne 1919, me fut confiée l’exploitation de notre rucher, je le trouvai dans un état lamentable; il était ravagé par l’acariose dont, suivant les constatations officielles, 90 % des ruches d’Angleterre étaient atteintes à cette époque.  Il fallut donner une orientation nouvelle à toute notre apiculture, en ce sens qu’en utilisant des abeilles italiennes, il n’a pas été possible de continuer le mode de conduite qui était suivi depuis toujours avec notre ancienne race indigène.  Les plus anciens apiculteurs ne purent s’adapter à la nouvelle méthode.  Il me souvient, il y a plus de 40 ans, qu’on disait communément : “ Les races étrangères comme le matériel étranger ainsi que leur méthode d’exploitation ne conviennent pas pour les conditions existant en Angleterre „.  Ces affirmations se révélèrent, en pratique, radicalement fausses.  Même les apiculteurs avertis, épris de progrès n’ont pu, à ce moment, prévoir le développement et les possibilités qui allaient devenir les leurs dans l’avenir.

En 1920, nous opérions avec des ruches dont le nid à couvain pouvait contenir 10 cadres aux dimensions de la Fédération (cadre British standard).  Nous avons estimé que ce matériel ne comportait pas une surface de rayon suffisante pour la fécondité des reines italiennes et de leur croisement et qu’il limitait le plein développement de la population.  Mais l’idée d’adjoindre une seconde chambre à couvain se heurtait à maintes objections et à maints préjugés.  Néanmoins, à l’automne, j’ai risqué un essai en faisant hiverner une colonie sur deux corps superposés et 40 livres de provisions.  Au printemps suivant, cette ruche apparut de loin la plus forte; son développement subséquent s’opéra de façon parfaite et, sans aucune intervention de ma part, sa population se trouva dans le meilleur état pour le début de la floraison des arbres fruitiers.

Pendant tout l’été, elle ne nécessita aucun travail, si ce n’est pour superposer, au fur et à mesure, des hausses; au total, six furent nécessaires.  Aussi, en fin de saison, cette ruche dominait toutes les autres, comme un phare non seulement symbolique mais aussi dans la réalité.  En effet, elle me montra la bonne direction et me fit éviter les écueils, les récifs et les bancs de sable des interventions qui, trop souvent conduisent au naufrage de l’exploitation.

Certes, cette ruche fut un cas idéal.  En 1921, la moyenne de la récolte fut de 50 livres; elle nécessita beaucoup de travail et 1’une des ruches donna 75 livres sans requérir plus de temps ni de peine.  A cette époque, de tels rendements constituaient un événement exceptionnel.  Et dans la suite, nous avons, dans les années favorables, dépassé ces taux et obtenu certaines récoltes record de plus de 150 livres !

Comment résultats aussi étonnants ont-ils été obtenus ?  Tout d’abord, grâce à une ruche spacieuse, ou plutôt à une chambre à couvain sans limite, amplement pourvue de provisions d’hiver.  Ces deux éléments.  conjugués permirent à la population, au printemps, d’augmenter de façon naturelle, sans interruption et sans nourrissement de quelque espèce que ce soit.  Une autre origine de nos succès fut l’augmentation de l’espace dans la ruche, réalisée au fur et à mesure des besoins, sans provoquer ni trouble, ni dérangement parmi les abeilles.

Enfin, le facteur le plus important de la réussite fut une reine de qualité provenant d’une race de choix et de la souche la plus productrice.  Sans la réalisation de chacune des trois conditions susmentionnées, la colonie ayant la meilleure des reines ne donnera pas un kilo de miel de plus .Mais une population bénéficiant de ces trois éléments, non seulement produira les meilleures récoltes, mais n’exigera de l’apiculteur que le minimum de temps et de travail.

En résumé, tout mon succès dépend, avant tout d’une sélection sévère.  Certes le modèle de ruche ou plus précisément la capacité de sa chambre à couvain intervient également dans la réussite, ces facteurs de base étant adaptés aux conditions de notre miellée.  Nous n’avons aucune action sur les éventualités de la température et de la miellée; mais, par contre, nous disposons totalement des autres possibilités d’exploitation.

Le type de ruche

Abordant cette partie de son exposé, le Frère Adam émet une série de considérations générales sur cet objet et il continue comme suit :

Le code de conduite du rucher et, en partie, les résultats qu’on en obtient, dépendent du modèle de ruche que l’on a choisi.  La perfection d’une ruche ne réside pas dans une construction coûteuse, mais surtout, pour l’apiculteur professionnel, dans sa grande simplicité qui lui épargnera temps et travail.

Jusqu’en 1923, nous opérions uniquement avec un matériel construit d’après les normes de la Fédération anglaise et, depuis quelques années, avec des ruches comportant deux nids à couvain, chacun pouvant contenir 10 cadres.

Lorsque, peu après la première guerre mondiale, l’importation des abeilles italiennes se généralisa, il se produisit, dans l’apiculture anglaise, un gigantesque développement en même temps qu’une non moindre révolution dans la méthode d’exploitation.  En effet, on ne tarda pas à constater que nos ruches et notre mode de conduite devaient être modifiés et adaptés aux besoins d’abeilles plus prolifiques et plus productrices.  De plus, s’imposa l’opinion que la rentabilité de l’exploitation exigeait, avant tout, une plus grande simplicité dans la construction de la ruche et de ses accessoires.  Heureusement, en Angleterre, l’apiculture était libérée de plusieurs problèmes qui étaient débattus dans le pays de langue allemande, telles les questions du rucher couvert ou de plein air, ruches s’ouvrant à l’arrière ou par le haut, ruches à bâtisses chaudes ou froides.

*     *     *

Frère Adam décrit alors sommairement le matériel qu’il possédait à ses débuts : bas de ruche et hausses en planches de 13 mm, plancher.  et couvre-cadres confectionnés à l’aide de planches de caisses de toutes espèces, toit uniquement de carton bitumé, entre le toit et le couvre-cadres du papier de journaux.  Pour la période d’hiver, ces ruches étaient entourées de carton bitumé.  Malgré ce défaut de protection, Frère Adam déclare n’avoir jamais constaté une différence notable dans la récolte entre les ruches à parois doubles et celles qui étaient les siennes, à ses débuts.  Il continue comme suit :

A ce moment, se posaient, en Angleterre, deux problèmes principaux l’un, celui de la ruche à parois simples ou doubles; l’autre, celui du volume à donner au nid à couvain.

La majorité des apiculteurs avertis étaient partisans de la ruche Langstroth ou tout au moins de ses dimensions.  Seul ce modèle américain pouvait être pris en considération pour l’apiculture pastorale sur la bruyère; c’était notre cas.  Mais la chambre à couvain de la Langstroth est trop petite pour une reine féconde et je ne voulais pas, comme il est d’usage général en Amérique, travailler avec deux corps à couvain.  En fait, je ne voyais aucun avantage sérieux dans la Langstroth par rapport à nos ruches standard anglaises.  Pour disposer d’un nid à couvain d’une capacité suffisante pour la reine la plus féconde, je me suis décidé finalement pour le bas de ruche avec 12 cadres Dadant.  Je disposais ainsi d’un corps de ruche de longueur et largeur identiques (50,5×50,5 cm) et d’une hauteur de 30,5 cm, comme dimensions extérieures; les hausses de 10 cadres mesurent exactement la moitié, en hauteur, du corps du bas.  Je tiens à faire une remarque : si j’attache beaucoup d’importance à l’extrême simplicité de la ruche, j’estime tout aussi nécessaire la solidité et la durabilité de chacune de ses parties et particulièrement des cadres.  Rien ne cause plus d’ennuis et de pertes de temps que des cadres qui ne conservent pas leur forme exacte; de même pour les parties de ruches qui deviennent prématurément inutilisables.

La dimension de la ruche, ou plus exactement le volume du nid à couvain est bien le seul facteur qui influe sérieusement sur le rendement en miel.  Une chambre à couvain qui, de par ses dimensions, limite la ponte de la reine, empêche le plein développement de la population et par conséquent, lui enlève les possibilités maxima de rendement.  Or, en l’espèce, il s’agit en réalité, d’augmenter celles-ci autant que possible.

Je ne dois pas cacher qu’à mes débuts, ces principes, d’une importance primordiale, ne m’apparaissaient pas de façon évidente quand, par la suite, je me décidai à adopter les dimensions de la Dadant modifiée et la chambre à couvain avec 12 cadres au lieu de 10, je ne le fis qu’après avoir mûrement réfléchi sur les conditions techniques de l’exploitation de notre rucher.

A cette époque, il me fut affirmé de tous côtés qu’avec une chambre à couvain aussi vaste, aucune récolte ne serait possible sur la bruyère, parce que les abeilles y remiseraient le nectar récolté.  Ces affirmations émanant d’apiculteurs anciens et expérimentés, je ne pouvais les rejeter d’emblée, comme dénuées de fondement.  Mes conceptions novatrices résultaient de l’étude mûrie des abeilles et de la comparaison des diverses techniques apicoles; elles présentaient, à mes yeux, des avantages primordiaux, mais il restait à les confronter avec les réalités impitoyables de l’expérience.

Je décidai d’y procéder au cours de l’été de 1924.  A cette époque, nos ruches étaient dispersées en trois endroits par groupes de 40.  Dans chacun d’eux, 20 colonies furent installées dans le nouveau matériel Dadant.  Bien que cet été 1924 ne fut pas très favorable, ce transfert put être réalisé sans trop de difficultés.  L’année 1925 se révéla plus prospère pour la récolte de miel autant que pour la mutation des ruches.  Quant aux résultats, ils furent étonnants à plusieurs points de vue.

Dès lors, il m’apparut évident que ces nouvelles ruches répondaient aux nécessités techniques d’exploitation, mais aussi, de par leur aménagement, donnaient des résultats dépassant toute attente.

Le changement de toutes les ruches fut terminé en 1930.  Il est certain que ce type de ruche avec une aussi grande chambre à couvain ne convient pas pour toutes les régions, surtout pas pour celles qui n’ont qu’une miellée de printemps.  Par ailleurs, l’utilisation de ce matériel exige des reines de bonne souche et de toute première qualité.

Original : Die Biene
Meine Betriebsweise, paru en français,
en 1961, par épisodes,
dans La Belgique Apicole, vol. 25
avec leur permission.
Article du Frère Adam, O. S. B.,
Abbaye St. Mary, Buckfast,
Sud Devon, Angleterre.
Traduction et adaptation française
par Max Kiesel,
Bruxelles, Belgique.