Frère Adam — 1960 — Congrès d’Apiculture de Cassel

Adaptation française par M. Kiesel d’une partie d’un exposé du Frère Adam au congrès de Cassel (Sept 1960)

Conduite des ruchers à l’Abbaye de Buckfast

Compte-rendu de l’exposé du Frère ADAM au Congrès de Cassel, le 4 Septembre 1960

si vous préférez,
traduisez ici!

 

Article du Frère Adam, O. S. B.,
(1898 – 1996)
©
photo Erik Österlund

Frère Adam

Abbaye St. Mary, Buckfast,
Sud Devon, Angleterre.
Traduction et adaptation française
par Max Kiesel,
Bruxelles, Belgique.

Original : Die Biene
Meine Betriebsweise, paru en français,
en 1961, par épisodes,
dans La Belgique Apicole, vol. 25
avec leur permission.

Belg.Apic. 25(5) 1961 p121-125

Dans un numéro spécial publié à l’occasion du centenaire de sa parution, la Revue „Die Biene“ reproduit le texte intégral de la magnifique conférence faite au Congrès de Cassel par Frère Adam, praticien apicole de réputation mondiale.

L’auteur, dans son exposé faisant état des conditions de climat, de flore et de miellée de sa région, nous croyons utile de signaler que Buckfast est situé dans le Devonshire, presqu’île des Cornouailles, au sud-ouest de l’Angleterre.  On y trouve notamment de grandes étendues désertiques, assez semblables à celles de nos Fagnes de la Baraque Michel et du Signal de Botrange (BE).  Ajoutons toutefois que le climat y est beaucoup plus doux que dans nos Hautes Fagnes.

*     *     *

Frère Adam fait d’abord l’historique des recherches qu’il a entreprises depuis 1919, pour aboutir au mode actuel d’exploitation de ses ruches.  Ci-après, nous donnons la traduction des parties de sa conférence qui sont de nature à intéresser particulièrement nos lecteurs.  Les sous-titres ont été ajoutés par le traducteur.

Généralités

Le sujet qui m’a été proposé m’a causé un certain embarras.  A mon avis, le choix d’un mode d’exploitation dépend du but à atteindre; dans notre cas, en tenant compte des conditions de fait, il s’agit de donner à chacune de nos ruches les meilleures possibilités de se développer et de produire au maximum.  En définitive, c’est la sélection qui, chez moi, est la base des succès que j’ai obtenus.

Au cours des années passées, de multiples méthodes de conduite des ruches ont été proposées; mais, après expérience, la plupart d’entre elles ont été abandonnées.  On a finalement conclu que, pour obtenir de bons résultats en apiculture, il faut, avant tout, respecter la merveilleuse organisation et l’instinct immuable des abeilles, en s’abstenant de toute intervention de nature à les contrarier et à les troubler.  Le choix du type de ruche et de la méthode de conduite sont commandés par les conditions de climat de la région, des possibilités de récolte autant que par les particularités de la variété d’abeilles adoptée.  De plus, pour l’apiculteur professionnel, le calcul du temps et des prestations nécessaires par ruche interviendra également dans le choix d’une méthode parce que ces facteurs auront une notable répercussion sur la rentabilité de l’exploitation.  A lui s’impose un matériel simple, d’entretien facile et de maniement aisé.

Mes Débuts

Lorsque, en automne 1919, me fut confiée l’exploitation de notre rucher, je le trouvai dans un état lamentable; il était ravagé par l’acariose dont, suivant les constatations officielles, 90 % des ruches d’Angleterre étaient atteintes à cette époque.  Il fallut donner une orientation nouvelle à toute notre apiculture, en ce sens qu’en utilisant des abeilles italiennes, il n’a pas été possible de continuer le mode de conduite qui était suivi depuis toujours avec notre ancienne race indigène.  Les plus anciens apiculteurs ne purent s’adapter à la nouvelle méthode.  Il me souvient, il y a plus de 40 ans, qu’on disait communément : “ Les races étrangères comme le matériel étranger ainsi que leur méthode d’exploitation ne conviennent pas pour les conditions existant en Angleterre „.  Ces affirmations se révélèrent, en pratique, radicalement fausses.  Même les apiculteurs avertis, épris de progrès n’ont pu, à ce moment, prévoir le développement et les possibilités qui allaient devenir les leurs dans l’avenir.

En 1920, nous opérions avec des ruches dont le nid à couvain pouvait contenir 10 cadres aux dimensions de la Fédération (cadre British standard).  Nous avons estimé que ce matériel ne comportait pas une surface de rayon suffisante pour la fécondité des reines italiennes et de leur croisement et qu’il limitait le plein développement de la population.  Mais l’idée d’adjoindre une seconde chambre à couvain se heurtait à maintes objections et à maints préjugés.  Néanmoins, à l’automne, j’ai risqué un essai en faisant hiverner une colonie sur deux corps superposés et 40 livres de provisions.  Au printemps suivant, cette ruche apparut de loin la plus forte; son développement subséquent s’opéra de façon parfaite et, sans aucune intervention de ma part, sa population se trouva dans le meilleur état pour le début de la floraison des arbres fruitiers.

Pendant tout l’été, elle ne nécessita aucun travail, si ce n’est pour superposer, au fur et à mesure, des hausses; au total, six furent nécessaires.  Aussi, en fin de saison, cette ruche dominait toutes les autres, comme un phare non seulement symbolique mais aussi dans la réalité.  En effet, elle me montra la bonne direction et me fit éviter les écueils, les récifs et les bancs de sable des interventions qui, trop souvent conduisent au naufrage de l’exploitation.

Certes, cette ruche fut un cas idéal.  En 1921, la moyenne de la récolte fut de 50 livres; elle nécessita beaucoup de travail et 1’une des ruches donna 75 livres sans requérir plus de temps ni de peine.  A cette époque, de tels rendements constituaient un événement exceptionnel.  Et dans la suite, nous avons, dans les années favorables, dépassé ces taux et obtenu certaines récoltes record de plus de 150 livres !

Comment résultats aussi étonnants ont-ils été obtenus ?  Tout d’abord, grâce à une ruche spacieuse, ou plutôt à une chambre à couvain sans limite, amplement pourvue de provisions d’hiver.  Ces deux éléments.  conjugués permirent à la population, au printemps, d’augmenter de façon naturelle, sans interruption et sans nourrissement de quelque espèce que ce soit.  Une autre origine de nos succès fut l’augmentation de l’espace dans la ruche, réalisée au fur et à mesure des besoins, sans provoquer ni trouble, ni dérangement parmi les abeilles.

Enfin, le facteur le plus important de la réussite fut une reine de qualité provenant d’une race de choix et de la souche la plus productrice.  Sans la réalisation de chacune des trois conditions susmentionnées, la colonie ayant la meilleure des reines ne donnera pas un kilo de miel de plus .Mais une population bénéficiant de ces trois éléments, non seulement produira les meilleures récoltes, mais n’exigera de l’apiculteur que le minimum de temps et de travail.

En résumé, tout mon succès dépend, avant tout d’une sélection sévère.  Certes le modèle de ruche ou plus précisément la capacité de sa chambre à couvain intervient également dans la réussite, ces facteurs de base étant adaptés aux conditions de notre miellée.  Nous n’avons aucune action sur les éventualités de la température et de la miellée; mais, par contre, nous disposons totalement des autres possibilités d’exploitation.

Le type de ruche

Abordant cette partie de son exposé, le Frère Adam émet une série de considérations générales sur cet objet et il continue comme suit :

Le code de conduite du rucher et, en partie, les résultats qu’on en obtient, dépendent du modèle de ruche que l’on a choisi.  La perfection d’une ruche ne réside pas dans une construction coûteuse, mais surtout, pour l’apiculteur professionnel, dans sa grande simplicité qui lui épargnera temps et travail.

Jusqu’en 1923, nous opérions uniquement avec un matériel construit d’après les normes de la Fédération anglaise et, depuis quelques années, avec des ruches comportant deux nids à couvain, chacun pouvant contenir 10 cadres.

Lorsque, peu après la première guerre mondiale, l’importation des abeilles italiennes se généralisa, il se produisit, dans l’apiculture anglaise, un gigantesque développement en même temps qu’une non moindre révolution dans la méthode d’exploitation.  En effet, on ne tarda pas à constater que nos ruches et notre mode de conduite devaient être modifiés et adaptés aux besoins d’abeilles plus prolifiques et plus productrices.  De plus, s’imposa l’opinion que la rentabilité de l’exploitation exigeait, avant tout, une plus grande simplicité dans la construction de la ruche et de ses accessoires.  Heureusement, en Angleterre, l’apiculture était libérée de plusieurs problèmes qui étaient débattus dans le pays de langue allemande, telles les questions du rucher couvert ou de plein air, ruches s’ouvrant à l’arrière ou par le haut, ruches à bâtisses chaudes ou froides.

*     *     *

Frère Adam décrit alors sommairement le matériel qu’il possédait à ses débuts : bas de ruche et hausses en planches de 13 mm, plancher.  et couvre-cadres confectionnés à l’aide de planches de caisses de toutes espèces, toit uniquement de carton bitumé, entre le toit et le couvre-cadres du papier de journaux.  Pour la période d’hiver, ces ruches étaient entourées de carton bitumé.  Malgré ce défaut de protection, Frère Adam déclare n’avoir jamais constaté une différence notable dans la récolte entre les ruches à parois doubles et celles qui étaient les siennes, à ses débuts.  Il continue comme suit :

A ce moment, se posaient, en Angleterre, deux problèmes principaux l’un, celui de la ruche à parois simples ou doubles; l’autre, celui du volume à donner au nid à couvain.

La majorité des apiculteurs avertis étaient partisans de la ruche Langstroth ou tout au moins de ses dimensions.  Seul ce modèle américain pouvait être pris en considération pour l’apiculture pastorale sur la bruyère; c’était notre cas.  Mais la chambre à couvain de la Langstroth est trop petite pour une reine féconde et je ne voulais pas, comme il est d’usage général en Amérique, travailler avec deux corps à couvain.  En fait, je ne voyais aucun avantage sérieux dans la Langstroth par rapport à nos ruches standard anglaises.  Pour disposer d’un nid à couvain d’une capacité suffisante pour la reine la plus féconde, je me suis décidé finalement pour le bas de ruche avec 12 cadres Dadant.  Je disposais ainsi d’un corps de ruche de longueur et largeur identiques (50,5×50,5 cm) et d’une hauteur de 30,5 cm, comme dimensions extérieures; les hausses de 10 cadres mesurent exactement la moitié, en hauteur, du corps du bas.  Je tiens à faire une remarque : si j’attache beaucoup d’importance à l’extrême simplicité de la ruche, j’estime tout aussi nécessaire la solidité et la durabilité de chacune de ses parties et particulièrement des cadres.  Rien ne cause plus d’ennuis et de pertes de temps que des cadres qui ne conservent pas leur forme exacte; de même pour les parties de ruches qui deviennent prématurément inutilisables.

La dimension de la ruche, ou plus exactement le volume du nid à couvain est bien le seul facteur qui influe sérieusement sur le rendement en miel.  Une chambre à couvain qui, de par ses dimensions, limite la ponte de la reine, empêche le plein développement de la population et par conséquent, lui enlève les possibilités maxima de rendement.  Or, en l’espèce, il s’agit en réalité, d’augmenter celles-ci autant que possible.

Je ne dois pas cacher qu’à mes débuts, ces principes, d’une importance primordiale, ne m’apparaissaient pas de façon évidente quand, par la suite, je me décidai à adopter les dimensions de la Dadant modifiée et la chambre à couvain avec 12 cadres au lieu de 10, je ne le fis qu’après avoir mûrement réfléchi sur les conditions techniques de l’exploitation de notre rucher.

A cette époque, il me fut affirmé de tous côtés qu’avec une chambre à couvain aussi vaste, aucune récolte ne serait possible sur la bruyère, parce que les abeilles y remiseraient le nectar récolté.  Ces affirmations émanant d’apiculteurs anciens et expérimentés, je ne pouvais les rejeter d’emblée, comme dénuées de fondement.  Mes conceptions novatrices résultaient de l’étude mûrie des abeilles et de la comparaison des diverses techniques apicoles; elles présentaient, à mes yeux, des avantages primordiaux, mais il restait à les confronter avec les réalités impitoyables de l’expérience.

Je décidai d’y procéder au cours de l’été de 1924.  A cette époque, nos ruches étaient dispersées en trois endroits par groupes de 40.  Dans chacun d’eux, 20 colonies furent installées dans le nouveau matériel Dadant.  Bien que cet été 1924 ne fut pas très favorable, ce transfert put être réalisé sans trop de difficultés.  L’année 1925 se révéla plus prospère pour la récolte de miel autant que pour la mutation des ruches.  Quant aux résultats, ils furent étonnants à plusieurs points de vue.

Dès lors, il m’apparut évident que ces nouvelles ruches répondaient aux nécessités techniques d’exploitation, mais aussi, de par leur aménagement, donnaient des résultats dépassant toute attente.

Le changement de toutes les ruches fut terminé en 1930.  Il est certain que ce type de ruche avec une aussi grande chambre à couvain ne convient pas pour toutes les régions, surtout pas pour celles qui n’ont qu’une miellée de printemps.  Par ailleurs, l’utilisation de ce matériel exige des reines de bonne souche et de toute première qualité.

Belg.Apic. 25(6) 1961 p161-163

Mode d’installation des ruchers

Ensuite, Frère Adam traite de la question : rucher couvert ou ruches en plein air.  Il accorde sa préférence à ces dernières, notamment parce que les ruches étant moins rapprochées, la dérive est peu importante, et les dangers de propagation des maladies, moins grands.  La disposition des ruches en ligne, dit-il, présente les mêmes inconvénients.  Depuis 1922, il place ses ruches par groupes de quatre, chacune d’elles ayant sa planche d’envol orientée différemment.  Frère Adam n’a jamais constaté des différences de rendement de récolte, mais, par contre, moins d’empoignades devant le trou de vol et pas de reines emballées par suite d’erreur de vol.  Chaque groupe de quatre ruches est installé comme suit, à bonne distance l’une de l’autre : un socle commun pour deux ruches éloignées l’une de l’autre de 20 centimètres, les deux socles eux-mêmes placés de façon à ménager un couloir de 70 centimètres entre chacun des groupes de deux ruches du même socle.  Le niveau du haut des ruches à environ 60 centimètres du sol facilite les travaux à exécuter aux ruches au cours de l’année.  Et il poursuit comme suit :

A nos débuts, nous installions jusqu’à 100 ruches sur un même emplacement; actuellement nous n’en groupons que 40 au maximum.  Les 320 ruches de rapport sont dispersées en neuf endroits différents, en tenant compte de la nature du sol et des possibilités de miellée.  Mais pour chacun d’eux, la miellée principale est fournie par le trèfle blanc et la bruyère.

Méthode de conduite des ruches

Abordant la question de la conduite des ruches, Frère Adam émet diverses considérations dont nous retenons les suivantes :

Certes, s’il nous était possible de prévoir le temps avec une certaine certitude, des interventions hardies de l’apiculteur seraient justifiées et utiles pour le rendement économique du rucher.  Mais nos prévisions du temps sont douteuses, aléatoires; l’apiculteur, tout au moins le professionnel, ne peut se baser sur pareils éléments.  Dans le sud Devonshire les possibilités de récolte sont, en fait, réduites au trèfle blanc c’est chez nous que l’on enregistre les plus fortes chutes de pluie.

L’apiculteur doit déterminer son mode d’exploitation en vue de s’assurer un rapport continu, sans égard autant que possible aux facteurs occasionnels.  Bien que notre rucher soit exploité de façon intensive, notre méthode est basée sur les principes les plus simples et les plus élémentaires, tout en évitant tout travail qui ne soit pas strictement nécessaire.  Il est vraiment étonnant de constater combien l’apiculteur a peu de possibilités d’intervenir positivement dans l’intérêt des abeilles et en conséquence peu d’influence sur le résultat final.  „

Les travaux de saison

Du début d’octobre au premier mars, nous abandonnons nos abeilles à leur sort; la saison d’hiver se passe souvent sans que j’aille jeter un coup d’œil aux ruches. En automne, elles ont toutes été bien approvisionnées, principalement en miel.  Aucun souci à avoir pour celles dont le toit a été attaché au socle à l’aide d’un fil de fer; elles peuvent affronter les pires tempêtes.

Au début de mars, nous commençons le nettoyage des planchers des ruches et en profitons pour jeter un coup d’œil furtif sur l’état des populations.  Comme nous l’avons dit, nos ruchers comportent environ quarante colonies, aussi avons-nous un stock sérieux de planchers de rechange.

Chaque matin, nous allons à l’une ou l’autre de nos installations et y procédons au remplacement des planchers souillés.  Ceux-ci sont ramenés pour être nettoyés à l’eau bouillante et séchés au cours de la nuit.  L’opération est ordinairement terminée à la mi-mars.  A ce moment, la température extérieure est, chez nous, suffisamment réchauffée pour permettre une rapide visite des ruches et la réduction du nombre des cadres, en ne laissant que ceux qui sont bien couverts d’abeilles.  Il est pris note de la force de chaque colonie.  D’après ces indications nous calculons la force moyenne de chacun des ruchers et savons ainsi ceux qui sont soit trop faibles, soit trop vigoureux.  Sur la base de ces données, nous pourrons procéder à l’égalisation des populations, quelques semaines tard, fin mars, simultanément avec le renouvellement des reines.

Pour cette dernière opération, la plupart des reines doivent avoir été choisies en temps voulu de façon à effectuer égalisation et renouvellement en même temps.  Naturellement, une égalisation du nombre des cadres n’est possible à cette date que si l’on dispose de plusieurs ruchers, les abeilles et le couvain en surnombre sont transférés dans les ruches d’un autre rucher; ainsi aucune crainte de retour des abeilles à la souche sur laquelle elles ont été prélevées et l’égalisation est réalisée dans les conditions les plus efficaces.  Je considère cette opération, effectuée à cette époque de l’année, comme une des plus importantes, les avantages en sont multiples tant au point de vue de la technique de la conduite de ruches qu’à celui de son exploitation commerciale.

Pendant la période subséquente, nous traitons chacune d’elles comme une unité.  Lorsque nous constatons que l’une d’elles doit pouvoir disposer de plus d’espace pour sa croissance, le même besoin existe chez les autres.  Cela simplifie de beaucoup le service de chaque rucher.  Rien ne cause plus de travail et de perte de temps dans une grande exploitation que des populations qui, d’après la moyenne, sont ou trop fortes ou trop faibles pendant le stade de leur développement, avant la grande miellée.  Les ruchées faibles, abandonnées à elles-mêmes, n’atteignent pas la force nécessaire pour le moment de la récolte et s’accroissent souvent grâce aux apports de celle-ci.  Par contre, les ruchées trop développées dépensent souvent leur force par un essaimage inutile, bien avant que débute la miellée.

Cette égalisation des populations se révèle avantageuse aussi pour le profit pécuniaire de l’exploitation.  La réflexion, confirmée par la pratique, apporte la preuve que, par cette méthode d’égalisation, la totalité des forces des populations doit être, au moment de la grande miellée, supérieure – et en réalité, elle l’est – à celle qu’elles auraient eue sans l’égalisation.  Ce fait apparaît de façon évidente dans le résultat final de la récolte.

Belg.Apic. 25(7) 1961 p196-199

Renouvellement des reines

À ce propos, le Frère Adam a publié, début des années 50, un très intéressant article où il expose son opinion sur la délicate introduction des reines.

Le changement général des reines est effectué, chez nous, en mars pour la raison qu’à cette date, il nécessite un minimum de travail et ne produit aucune diminution indésirable de la force de la population, ce qui ne serait pas le cas si cette opération avait lieu en été.

Une reine atteint sa pleine formation et sa plus grande productivité dans l’année suivant sa naissance.  Vraisemblablement, son plein potentiel de ponte n’est pas acquis dès l’été au cours duquel elle est née.  Cette affirmation soulèvera peut-être des doutes.  Mais notre exploitation avec ses ruches spacieuses et sa miellée tardive d’automne nous apporte toujours la preuve de son exactitude.  L’introduction, à cette époque de l’année, d’une reine préalablement éprouvée et qui, de plus, se trouve dans la pleine force de sa jeunesse, exige avant tout le développement de la population depuis le printemps.

Je ne voudrais pas laisser l’impression que nous ne renouvelons les reines qu’au mois de mars.  Certes, elles le sont en général à cette saison.  Mais pour certaines ruches, la nouvelle reine ne leur sera donnée qu’au moment où cela apparaîtra nécessaire.  En cas de besoin, quand notre réserve de reines de l’été précédent est épuisée; nous sommes contraints d’utiliser des reines nouvellement fécondées, malgré les difficultés d’introduction.  Au cours de ma carrière d’apiculteur, j’ai fait l’essai de toutes les méthodes connues d’introduction des reines; aucune ne m’a donné toute garantie de sécurité et ce sont précisément des reines récemment fécondées qui sont généralement vendues et introduites, malgré les grandes pertes éprouvées.

De nouvelles recherches ont confirmé l’exactitude de la théorie que j’avais primitivement avancée.  On cite souvent la haine de races comme cause d’échecs dans l’admission d’une nouvelle reine; pour ma part, je n’en ai jamais eu la preuve.  Mais il n’est pas douteux que les jeunes reines de certaines races se montrent plus nerveuses et provoquent ainsi plus aisément une attitude hostile des abeilles en sorte qu’elles courent le risque, à tout moment, d’être tuées par elles.  En fait, ceci est une preuve complémentaire de l’exactitude de mon opinion en cette matière.

En résumé, l’acceptation d’une nouvelle reine ne dépend pas tant d’une odeur, mais de son comportement.  Une reine complètement formée, en ponte depuis un certain temps, se montre plus tranquille; elle peut être introduite en toute sécurité, sans qu’il soit nécessaire de recourir à toutes les précautions préalables qui ont été jusqu’à présent, jugées indispensables.  L’ouverture de la ruche peut, toutefois, mettre sa vie en danger.  Mais peu de semaines suffisent à modifier radicalement son comportement; sa démarche sera moins rapide, plus pondérée, plus digne d’une matrone; ses réactions seront plus calmes, plus mesurées.  Après quatre semaines de ponte, elle atteindra sa pleine maturité, sinon son maximum de ponte, qui ne se produira qu’au cours de l’année suivante, comme je l’ai déjà dit.  Le délai de quatre semaines, que j’indique pour sa maturité, doit être quelque peu allongé pour les reines qui sont nerveuses de naissance, par suite de leur race, ainsi que pour certaines reines bâtardes; mais d’après mon expérience, ce retard ne dépasse pas deux mois dans les cas extrêmes.

Un procédé d’introduction de reines donnant toute garantie de sécurité est d’une nécessité absolue pour toute exploitation apicole.

Par l’opération complète de renouvellement, les deux tiers de nos ruches de rapport sont dotées d’une jeune reine.  Les meilleures des reines de deux ans sont laissées provisoirement à leur peuple et, au début de mai, plusieurs d’entre elles sont livrées à des instituts, sociétés ou éleveurs professionnels en vue de la reproduction.

Développement des populations

Après égalisation, nos colonies couvrent, fin mars habituellement, sept cadres Dadant.  Le taux moyen de leur croissance dépend plus ou moins des conditions de la récolte sur la bruyère au cours de l’automne précèdent.  Lors des années de miellée totalement déficitaires, on peut prévoir le prochain effondrement du chiffre de la population ainsi qu’il en fut en 1947, année au cours de laquelle nos ruches, après égalisation, avaient à peine quatre cadres d’abeilles.  D’ailleurs, il n’est pas désirable que la population s’accroisse au maximum à cette époque de l’année, car nous n’avons pas de miellée notable au printemps.  Une ruchée de moyenne force à cette saison aura un développement meilleur pour atteindre son maximum au moment de la grande miellée.

Tout apiculteur expérimenté sait que souvent un nucleus de l’année précédente se développe mieux et donne une meilleure récolte qu’une ruche qui est trop populeuse dès le début du printemps.

Après l’égalisation des populations et le renouvellement des reines, nous ne touchons plus aux ruches jusqu’à la mi-avril.  Si le temps est défavorable, elles sont maintenues sur un nombre limité de cadres.  Dans le cas contraire, on ajoute un cadre et dix jours après, un deuxième.  L’élargissement est ainsi poursuivi graduellement jusqu’à la fin de mai ou le début de juin, date à laquelle chaque ruche dispose de son plein de douze grands cadres.

Cadres bâtis ou de cire gaufrée

Chaque population doit bâtir chaque année un minimum de trois cadres; ils sont toujours placés du côté extérieur, près de la partition ou de la paroi de la ruche.  Nous n’exerçons aucune contrainte sur les abeilles qui doivent spontanément en entreprendre la bâtisse.  Sauf rare exception et passagèrement, nous ne plaçons jamais le cadre de cire gaufrée au milieu des autres cadres, pas plus que nous ne procédons à une limitation ou une translation de couvain ainsi que cela se pratiquait autrefois en Angleterre.

J’ai dit, tantôt, que nous ne plaçons les cadres à bâtir au milieu des autres qu’à titre exceptionnel.  Normalement, ils sont suspendus aux côtés des cadres garnis de couvain; ce placement peut être effectué à tout moment sans trouble dans le développement de la population et sans inconvénient pour la cire bâtie.  Chacun sait ce qu’il arrive lorsque, en absence de miellée, les cadres de cire sont introduits au milieu du couvain.  D’ailleurs, l’exploitant d’un grand rucher n’a pas la possibilité de donner les cadres à bâtir au moment le plus favorable pour chacune de ses ruches; aussi les place-t-il sur les côtés dès qu’il en a le loisir.  Ainsi les abeilles pourront y accéder et les bâtir à volonté et ces cadres seront mieux construits.  Mais il n’en est pas toujours ainsi avec des abeilles de race bâtarde.  Elles gâcheront les cadres placés à la périphérie du nid à couvain en y établissant des cellules de mâles en trop grand nombre; par contre, si ces cadres sont suspendus entre les cadres de couvain, ils seront très bien bâtis en cellules d’ouvrières.  Aussitôt qu’ils seront achevés, il faudra les transposer sur les côtés de la ruche, ce qui nécessitera un surcroît de travail.  Mais, avec les abeilles bâtardes, c’est la seule possibilité.

Le nourrissement

D’après ce que nous avons dit précédemment, maints de mes auditeurs auront deviné que, chez nous, il n’est pas question de nourrissement stimulant.  C’est exact.  Dans le temps, ce nourrissement était considéré comme indispensable; on commençait très tôt à le fournir : dès la Noël, chaque population recevait sa petite boîte de « candi », sucre en pâte d’une confection spéciale.  Des compléments de une à deux livres se succédaient jusqu’à la fin de février.  A cette date, on donnait chaque soir du sirop de sucre chaud en petites doses.  J’ai aussi pratiqué ce sport.  Aujourd’hui, il n’en est plus question, sauf en cas de nécessité absolue.  Je n’y recours d’ailleurs qu’à mon corps défendant.  Le nourrissement administré en avril ou mai provoque la construction en excès de cellules de mâles et l’élevage de faux-bourdons.

Cela n’empêche que, parfois, il faut bien y recourir au cours des années de disette où le nourrissement s’impose pour garder les populations en vie.

Placement des hausses

Nos ruches reçoivent leur première hausse à la mi-mai, au temps de la floraison des pommiers, donc avant que le nid à couvain contienne le nombre plein de ses cadres.  Si nous attendions le moment où toutes nos ruches auraient leurs douze cadres, une tendance à l’essaimage apparaîtrait dès la fin de mai.  Par contre, en plaçant une hausse dès que les abeilles couvrent neuf cadres, le développement de la population se poursuit sans interruption.

Nous utilisons des grilles à reine de fabrication particulièrement solide.  Auparavant, pendant de nombreuses années, nous ne faisions pas usage de grilles; mais nous avons constaté qu’elles présentaient plus d’avantages que d’inconvénients.

Comme nous l’avons dit, chaque ruchée doit construire, au cours de l’année, un minimum de trois grands cadres de cire gaufrée.  La première hausse est, si possible, garnie de quelques cadres bâtis, à défaut avec toute cire gaufrée.  Nous estimons que les abeilles doivent beaucoup bâtir.  Le renouvellement périodique de la cire des cadres du bas des ruches est d’une nécessité absolue pour la prévention des maladies des abeilles.

Surveillance des ruchers

Notre méthode exige une surveillance sévère des ruches de rapport pendant la période de croissance de la population et le temps de l’essaimage.  Depuis la fin mars jusqu’à la fin de juin, il ne se passe pas deux semaines sans que je prenne le pouls du degré de développement de la colonie.  Ce contrôle périodique est indispensable pour vérifier les qualités de ponte de chaque reine.  Au cas où l’une d’elles ne satisfait pas à nos exigences, elle est remplacée sans pitié.

Pendant la période d’essaimage, la visite des ruches est opérée chaque semaine.  Depuis la fin de juillet, après l’enlèvement des deux cadres de cire bâtis, plus aucune inspection n’est effectuée jusqu’au moment du dernier contrôle avant la mise en hivernage.  Sauf au temps d’essaimage, une visite de ruche ne dure pas plus de quelques minutes : un regard sur les deux ou trois premiers cadres de couvain suffit, le plus souvent, pour nous donner les indications nécessaires.

Belg.Apic. 25(8-9) 1961 p232-237

Prévention de l’essaimage

Chez nous, la période principale d’essaimage ne dure que du 5 au 20 juillet.  Quand nous travaillions avec nos abeilles indigènes et les ruches aux normes anglaises, il n’était pas rare de voir sortir des essaims dès avril et le mois de mai était le moment culminant de l’essaimage.  Avec l’utilisation des abeilles italiennes ainsi que de nids à couvain doubles, l’apparition des essaims a été retardée jusqu’en juillet.  A l’heure actuelle, en Angleterre, il n’y a pas de production, ni d’élevage d’essaims.  On cherche uniquement à les empêcher de naître.

L’essaimage est certes le gros problème de l’apiculteur moderne, la pierre d’achoppement surtout pour les grandes exploitations dont les ruches sont dispersées par groupes à plusieurs milles de distance l’un de l’autre.

L’apiculture anglaise considère comme dominante la question de la prévention de l’essaimage.  Des moyens pour y faire obstacle, il en est des légions qui ont été préconisés.  Mais, dans ce domaine, peu à peu, au cours des années, il s’est produit une pause.  Les flots des idées et des systèmes se sont apaisés, dispersés sur les écueils de la mise en pratique.  Il n’existe qu’un seul moyen certain d’empêcher l’éclosion d’essaims, c’est d’enlever la reine aussitôt qu’on remarque les signes précurseurs de l’essaimage.  J’avais recours à ce procédé déjà au temps où j’opérais avec les ruchers du type anglais et je continue à l’utiliser aujourd’hui en cas de nécessité.  Il présente de multiples avantages pour le rendement commercial de l’exploitation.

Si après enlèvement de la reine, je maintiens la ruche à l’état d’orpheline pendant 10 jours et si, après avoir détruit toutes les cellules de reine, je donne à cette ruche une jeune reine fécondée, je m’épargne beaucoup de travail et de fatigue et – ce qui est plus important – j’obtiens une récolte de loin plus abondante sur le trèfle blanc, ce qui ne serait pas le cas autrement.  Dès l’acceptation de la reine et en présence de couvain non operculé, toute la population se précipite au travail et s’emploie à la récolte avec une ardeur qui ne peut se comparer qu’à celle qui anime un essaim.  Cette méthode de prévention de l’essaimage a, par ailleurs, d’autres avantages importants : l’interruption de la production de couvain pendant près de deux semaines consécutives ; il en résulte une certaine prévention des maladies du couvain – la désastreuse loque américaine exceptée — autant que des maladies des abeilles adultes  De plus, grâce à cet arrêt du couvain, on obtient une diminution de la population dès la fin de la récolte, précisément au moment où un excédent d’abeilles est désavantageux.

Une ruche traitée suivant cette méthode abordera l’hiver avec une majeure partie de jeunes abeilles et, au printemps suivant, il est vraiment étonnant de constater combien cette colonie se développe quand on la compare à celles qui n’ont pas été traitées de la même façon.  Cette méthode ne laisse jamais de doute : cela réussit ou cela ne réussit pas.  S’il ne s’agit que de la récolte sur trèfle blanc, les avantages économiques sont extraordinaires.  Mais cette méthode de prévention de l’essaimage a, dans notre cas, un très gros inconvénient.  En effet, pour le départ pour la bruyère au mois d’août, des fortes colonies nous sont absolument nécessaires : or, par ce procédé, nous n’en disposons pas : 1) parce que, au moment décisif, il intervient un arrêt de deux semaines dans l’expansion du couvain; 2) par le fait que des reines fécondées depuis peu, ne pondent pas avec la même ardeur que celles qui sont nées l’année précédente.

Il est aisé de comprendre qu’il ne nous reste aucune autre possibilité d’empêcher l’essaimage par un moyen qui nous garderait des populations en pleine force pour la bruyère en août.  Vraisemblablement, il n’y a qu’une méthode à retenir, méthode qui, de toutes façons, exige beaucoup de travail et qui, certes, ne constitue pas la solution idéale du problème : c’est celle du contrôle hebdomadaire de toutes les ruches pendant la période d’essaimage et la destruction dans chacune d’elles de tous les alvéoles de reines.  Ce travail de recherches n’est pas si pénible qu’il semble à première vue : cette inspection s’effectue comme toujours, mais cette fois cependant sur un espace plus restreint, un coup d’œil sur les deux premières paires de cadres du nid à couvain suffit pour savoir si tout est en ordre.  Dans le cas de signes prémonitoires d’essaimage, tous les alvéoles de reines doivent être détruits.  Si la reine pond encore abondamment, il est probable que, lors de l’inspection suivante, on ne verra plus d’alvéoles.

Si, toutefois, il s’en trouvait à nouveau, on réitérera l’opération de destruction et on la poursuivra jusqu’à ce que toute tendance à l’essaimage soit vaincue.

Il arrive parfois que des reines soient perdues en cours de saison et qu’il faille les remplacer; ces colonies ne sont plus utiles pour la récolte sur la bruyère; leur nombre est toujours réduit et ce mal, en tout cas, ne peut être évité.

J’aurais dû vous signaler que, chez nous, une nouvelle reine n’est jamais introduite sans le clippage de l’une de ses ailes.  Certes, cela n’empêche pas l’essaimage, mais l’essaim ne peut plus s’enfuir et il est toujours rendu à la souche sans la reine.  Cela permet aussi de capturer l’essaim sans difficultés.  Je sais, par expérience, combien la prise de l’essaim peut être difficile, car j’habite une région très arborée.  Jamais, depuis 40 ans, je n’ai constaté un inconvénient ou préjudice résultant du clippage d’une aile.  Pour la grande apiculture, l’exploitation serait à peine possible sans cette opération si simple.  Chez nous, le clippage est considéré comme chose élémentaire qui va de soi.

Placement de nouveaux cadres pour la récolte

Lors des visites opérées durant le temps d’essaimage qui coïncide avec celui de la grande miellée, on place, chez nous, les hausses supplémentaires qui sont toujours garnies de cire gaufrée.  Puis, à la floraison du trèfle blanc, une nouvelle hausse est ajoutée aux autres.  Cette augmentation de volume réalisée ainsi par le haut ne provoque aucun trouble dans la ruche, nous épargne beaucoup de travail avec l’avantage qu’ainsi placés, les cadres de cire gaufrée sont plus rapidement bâtis.  En plus, ce mode de placement des hausses nous donne la garantie que, s’il survient un changement subit de temps, le nectar ne sera pas dispersé sur un nombre trop grand de cadres.  Par ailleurs, il nous suffit d’enlever le couvre-cadres pour savoir s’il y a manque de place, ce qui est important quand les conditions sont favorables à la récolte; dans ce cas, une visite supplémentaire à celle de chaque semaine s’avérera nécessaire.

Quand la miellée touche à sa fin, une modification est apportée à la position des hausses.  Elle est effectuée lors des dernières visites hebdomadaires : la hausse supérieure est posée directement sur la grille à reine pour la raison qu’elle n’est pas remplie de miel et la hausse qui se trouvait dans le bas est placée dans le haut.  Cela permet d’enlever, en temps voulu et sans trouble, les hausses intermédiaires qui sont complètement garnies et de placer celles qui ne le sont pas, en position favorable pour les abeilles.  En effet, à la fin de la miellée, les abeilles ont de plus en plus tendance à remiser le miel à proximité du couvain.

Habituellement, nous n’extrayons pas le miel avant la fin de la récolte à moins que des hausses vides soient nécessaires pour le transfert sur la bruyère.  Il arrive ainsi que l’une ou l’autre année, après une bonne récolte, que le rucher prenne l’aspect en miniature d’une cité de gratte-ciel, vision désirée, vision de rêve pour tout apiculteur.

Récolte sur la bruyère

Frère Adam décrit la flore des hauteurs de la lande Dartmoor où il déménage ses ruches (Caluna, Erica, Ceneria, Tétralex, etc.).  Il détaille les dispositions qui lui permettent de réussir en dix jours, le plus souvent à partir du 28 juillet, le transport de ses 320 ruches et leur installation par groupes de 30 à 40 en divers endroits de 25 à 50 kilomètres de distance de leurs emplacements habituels.  Et il continue comme suit :

Le traitement des abeilles sur la bruyère se limite au soin de leur assurer un espace suffisant dans la ruche pour emmagasiner la récolte quand temps et miellée sont favorables.  Comme au printemps, les hausses vides sont placées au fur et à mesure des besoins et l’une au-dessus de l’autre.  A ce moment, aucune intervention ni mesure quelconque ne peuvent changer la composition et la force des colonies; le nombre voulu d’abeilles est présent ou il ne l’est pas.  Ici, je dois dire avec insistance combien il est nécessaire d’avoir un nid à couvain de grande capacité : la réussite de la récolte sur la bruyère en dépend.  Un exemple tiré de mon expérience illustrera mes constatations à ce sujet.  En 1933, bonne année à miel, deux apiculteurs avaient installé leurs ruches non loin des nôtres; tous deux utilisaient les ruches du gabarit anglais.  Peu avant la fin de la miellée, j’eus l’occasion de connaître ce que chacun d’eux avait récolté : une moyenne de 28 livres provenant, d’après leurs déclarations des ramassages du début du mois d’août : mais, disaient-ils, les cinq jours après le 24 août qui avaient été propices à la miellée, ne leur avaient donné aucun supplément d’apports.  Ce sont ces cinq jours qui avaient été pour nos ruches, les meilleurs de tous ceux dont je puis me souvenir : ils ont donné, chez nous, des apports de 20 livres par jour.  Nous avons récolté, cette année, plus de 100 livres par ruche dans les hausses et, dans certaines ruches, le corps en contenait encore 50 livres.

Quelle avait été la cause de cette étonnante différence de rendement : 28 et 100 livres ?…

Sans aucun doute, ces deux apiculteurs avaient amené sur la bruyère leurs ruches peuplées d’abeilles âgées qui se sont épuisées durant la première récolte du mois d’août : le couvain réduit de ces colonies n’a pas donné une nouvelle génération assez forte pour la récolte des cinq jours de la fin du mois.  C’est bien ainsi qu’il en était puisque, plus tard, les deux apiculteurs se sont plaints d’une forte mortalité au cours de l’hiver : la même constatation fut faite aussi chez la plupart des autres exploitants utilisant le modèle anglais avec chambre à couvain réduite.  Un de mes amis, un professionnel des plus avertis d’Angleterre, transportait également, chaque année, ses meilleures ruches à la bruyère : il possédait au total 1700 populations installées dans des ruches de type anglais, mais avec 14 cadres dans le corps à couvain.  Ses résultats sur la bruyère n’atteignirent jamais la moitié des nôtres.  Seuls la capacité de notre chambre à couvain et le plein développement de nos populations peuvent expliquer pareil écart de rendement.

Vers le 7 septembre, toutes les hausses, qu’elles soient remplies ou vides, sont placées sur le plateau chasse-abeilles et enlevées après deux jours.  Les ruches sont ainsi prêtes pour le transport de retour.  Celui-ci achevé, chacune des colonies reçoit le même jour 6 litres de sirop; ce nourrissement est administré à toutes les ruches sans tenir compte de la quantité de miel qu’elles peuvent encore contenir.

L’hivernage

On sait qu’un bon hivernage n’est pas possible pour des abeilles qui ne disposent que de miel de bruyère comme provisions.  Les 6 litres de sirop précité, remisé par les abeilles au centre du nid à couvain, seront consommés en premier lieu au cours de l’hiver.  Ainsi le danger de dysenterie sera en grande partie écarté, encore qu’il subsiste toujours un certain risque.  Aussi, après ce premier nourrissement, toutes les ruches sont pesées et toutes celles qui n’atteignent pas un poids moyen déterminé, reçoivent un supplément de sirop correspondant à leur déficit de poids.  Dans les mauvaises années, quand la bruyère n’a pas donné de récolte, ce qui malheureusement arrive assez souvent, nous approvisionnons chaque ruche de la quantité minimum de sirop qui lui permettra de survivre à l’hiver.  En pareilles années de disette, une large provision serait prématurément et totalement consommée par les abeilles et il en résulterait des suites désastreuses ainsi que la pratique l’a prouvé.

Le nourrissement achevé, il reste à faire un dernier contrôle spécialement pour vérifier la présence de la reine dans chacune des ruches.  Le nombre des cadres est réduit à dix.

Toute autre opération n’est plus de mise à cette époque de l’année.  Après le 1er octobre, aucune ruche ne sera plus ouverte.

Quoique chez nous certains hivers soient rigoureux, avec des températures de –20°C, aucune mesure spéciale de protection des ruches n’est prise.  L’expérience a prouvé que même les grands froids ne nuisent en rien aux abeilles, mais au contraire leur sont avantageux, car la consommation des provisions est moindre et la croissance de la population, moindre au printemps est d’autant meilleure.  Nous ne protégeons pas spécialement nos ruches contre le froid, mais nous veillons à les abriter du vent,

Il y a quelque 45 ans, les Drs Philipps et Georges Demuth se firent les protagonistes d’un système de protection contre le froid pour des ruches groupées par quatre.

Frère Adam fait la description détaillée de ce système.  Retenons-en qu’il s’agissait de cloisons confectionnées à l’aide de branchages et de feuilles.

Séduit par cette nouveauté, je fis construire et placer deux caisses de l’espèce et j’attendis le résultat avec le plus grand intérêt.  Les huit ruches soumises à l’expérience passèrent l’hiver dans un état impeccable, les cadres ne portaient pas la moindre trace de moisissures.  Mais vint la désillusion : ces colonies ne se développaient pas, on n’y voyait ni joie d’élevage du couvain, ni animation croissante, ni les abeilles au travail mais seulement une survie languissante.  Au contraire, les populations installées dans mes caisses de secours qui, en ce temps, n’avaient qu’un toit de carton bitumé, se renforçaient à pas de géant.  Je décidai de poursuivre l’expérience l’hiver suivant et les résultats ne furent en rien meilleurs.

Quelques années après, un professionnel anglais fit établir 40 de ces caisses Philipps pour l’hivernage de l’ensemble de ses 160 ruches.  De mon côté, à la même époque, je décidai d’utiliser mes deux anciennes caisses pour un nouvel essai pendant deux hivers consécutifs.  Mes résultats comme ceux du propriétaire des 160 colonies ne firent que confirmer les constatations faites les années précédentes.  D’ailleurs, par la suite, ce mode de protection fut abandonné tant au Canada qu’aux Etats-Unis.  J’ai fait le récit de ces expériences pour en tirer la conclusion qui s’impose, à savoir que les froids de l’hiver sont favorables au développement de la population au printemps et qu’une protection exagérée contre le froid produit l’effet contraire.

Je crois avoir exposé les points importants de notre méthode d’exploitation et j’ai fait connaître autant que possible les raisons pour lesquelles j’en ai adopté les modalités de préférence à d’autres.  Il ne s’agit pas d’une façon raffinée de conduire les ruches, mais plutôt de soins à donner aux abeilles, soins qui sont simples, raisonnables et commandés par le but à atteindre.  Tout mode d’exploitation constitue un moyen en vue d’un but précis, ce sont les résultats qui sont les critères de l’exactitude du mode qui a été choisi.

Original : Die Biene
Meine Betriebsweise, paru en français,
en 1961, par épisodes,
dans La Belgique Apicole, vol. 25
avec leur permission.
Article du Frère Adam, O. S. B.,
Abbaye St. Mary, Buckfast,
Sud Devon, Angleterre.
Traduction et adaptation française
par Max Kiesel,
Bruxelles, Belgique.