Dr A. Eytan — Un grand révolutionnaire — 1960

Les lignées anecballiques peuvent être croisées, elles donnent des reines anecballiques

Un grand révolutionnaire
dans le calme du cloître

si vous préférez,
traduisez ici!

 

par le Dr A. Eytan, Israël,
Adaptation française par
Ngonga
Original : In Gleanings in Bee Culture,
Oct. 1959
paru en français dans
La Belgique Apicole,
24(1) 1960 p 16-19
Avec leur permission.

Le Frère Adam est un habitant de l’Abbaye de Buckfast dans le Comté de Devon, au sud-ouest de l’Angleterre.  J’ai eu le privilège de passer six semaines en sa compagnie, travaillant en contact étroit avec lui dans son apier.

Pour l’exprimer en bref, le Comté de Devon peut être véritablement décrit comme étant le pays du lait et du miel.  Il est couvert de vastes étendues de pâturages riches et fertiles nourrissant d’innombrables bestiaux, moutons et chevaux.

Ces pâturages, enclos dans des haies ou des murs bas, procurent également une nourriture abondante aux abeilles.  Deux fleurs constituent la principale source de miel : le trèfle et la bruyère.

La méthode spéciale de croisement

Frère Adam est un homme très paisible.  Quelle forme prend dès lors son caractère révolutionnaire ?

Depuis l’invention de la ruche à cadres mobiles, il y a environ un siècle, les principaux développements de cette branche d’activité sont du domaine technique.  Le professeur bien connu Armbruster apparut sur la scène avec sa théorie bien saine du croisement des abeilles.  Le Frère Adam s’est emparé des principaux points de cette théorie et les a mis en pratique.  En fait, il est le seul à avoir fait, du croisement des abeilles, un art véritable.

Qu’est en réalité le procédé du croisement ? Un de mes amis qui est un vétéran en apiculture a posé la question : « Si deux différentes races d’abeilles sont croisées, elles produisent une progéniture hybride, bâtarde.  Comment alors est-il possible de conserver les caractères particuliers et les qualités spécifiques des générations futures de ce produit hybride du système de croisement ? »

Mon ami continua à compliquer les choses en posant encore une question : « Et en général, ces insectes hybrides constituent-ils une nouvelle race ? »

Puis il poursuivit son argumentation en citant l’exemple suivant dans l’élevage de la volaille, le croisement de deux races produit un oiseau hybride qui est classé comme un succès et qui a deux excellentes qualités : bon pondeur et plus de chair que la Leghorn orthodoxe.  Ce bâtard, cependant, n’est pas une nouvelle race.  Il n’y a pas de possibilité de stabiliser cette race.  Elle constitue simplement un développement isolé qui n’a aucune continuité dans les générations suivantes.  Le résultat est perdu avec la mort de la volaille hybride.

Chez les abeilles, il est remarqué que la formule acceptée est celle de l’élevage, c’est-à-dire l’accouplement de mâle et femelle de la même race.  L’élevage pur ou élevage de « lignée » est principalement un procédé de consanguinité.  Cet élevage implique l’isolement des bonnes et mauvaises caractéristiques de la race.  Par le procédé de sélection et de resélection, les caractères indésirables sont éliminés et comme résultat les qualités recherchées sont intensifiées.  C’est un fait que, par le procédé de l’élevage pur, nous pouvons produire à partir de n’importe quelle race certaine, uniquement les caractéristiques qui sont inhérentes à cette race, c’est-à-dire que le potentiel des mélanges est limité.  D’autre part, l’éleveur pratiquant le croisement a à sa disposition un choix de caractéristiques des différentes races.

L’éleveur combine les qualités des races différentes en une nouvelle race.  Par exemple, la Carniolienne est excellente dans la récolte du miel, mais son défaut réside dans une propension à l’essaimage.  Le but de l’éleveur est de produire une abeille qui soit peu encline à essaimer.  Ce caractère désirable n’existe pas chez la Carniolienne.  L’élevage pur, par conséquent, ne peut pas produire ce dédain de l’essaimage dans la race Carniolienne, mais tel n’est pas le cas dans le croisement.

Le Frère Adam décrit ses activités d’éleveur dans une expérience intéressante qui révèle les possibilités illimitées de croisement (extrait de sa conférence au Congrès d’Apiculture à Vienne en 1956).  « L’abeille française est renommée pour son agressivité et possède en plus un certain nombre de caractères indésirables.  Malgré ce handicap, cependant, j’ai réussi à élever, à partir de cette race, après un grand nombre de croisements successifs, une abeille dorée étonnamment calme, peu encline à essaimer et ne propolisant presque pas (un des désavantages de l’abeille française).  Elle était beaucoup plus belle et mieux colorée que sa sœur américaine (abeille dorée américaine).  Elle constituait une abeille idéale à tous points de vue, sauf qu’elle était très sujette à l’acariose.  Les pertes en raison de cette faiblesse étaient si grandes qu’elles rendaient un élevage et une conservation de cette race économiquement prohibitifs. »

Il n’y a aucun doute que, par le croisement, nous puissions produire de nouvelles races d’abeilles de grande valeur économique, fait amplement démontré par Frère Adam au cours de sa carrière.

Voici un exemple entre cent : en 1949, Frère Adam introduisit des reines — élevées, naturellement, par croisement —.  Ces colonies produisirent une récolte moyenne de 94,5 kilos chacune.  Cette fantastique capacité de butinage était due au système d’élevage et de sélection de Frère Adam.  Dans un but expérimental et comparatif, une race nouvellement introduite succomba à l’acariose dans des conditions identiques.

Pourquoi le croisement est-il décrié en apiculture quand des résultats si étonnants sont accomplis de cette manière ?

C’est en raison du croisement que Mitchourine, le distingué chercheur, obtint ses étonnants résultats.  Il greffa différentes espèces de plantes provenant de toutes les parties du monde et largement différentes les unes des autres.  En particulier, il favorisa celles qui n’étaient pas acclimatées en Russie.  Parmi les produits de ces croisements, les cultures qui furent adaptées aux conditions de la Russie se montrèrent d’une valeur économique marquée.  Le lecteur est sans doute au courant, par exemple, du Gamba, produit par le croisement de la tomate et du poivrier.

C’est un axiome, dans la Loi de l’Hérédité, que des races qui sont très différentes sont aisément aptes à la sélection et à l’élevage en raison de la vaste différence existant entre elles.

Afin de conserver les résultats obtenus par le croisement, on doit avoir recours à l’élevage pur.  En d’autres termes, l’élevage pur produit la stabilité dans les nouvelles races.

Au cours de son activité, Frère Adam a produit une nouvelle race nommée « Race de Buckfast » ou « Race Frère Adam ».  Il ne se contente pas, cependant, de dormir sur ses lauriers, mais continue à améliorer la race.  En premier lieu, cette nouvelle race est une grande productrice de miel, ensuite elle est résistante à la maladie — particulièrement à l’acariose —, en troisième lieu elle est douce, en quatrième lieu elle n’est pas essaimeuse et enfin elle propolise très peu.  Elle est de couleur brune.  Au cours de la dernière décade, la production moyenne de miel par colonie en Angleterre était de 13 kilos.  En comparaison, la production moyenne par ruche à Buckfast pendant la même période était de 30 kilos, avec une pointe en 1949 de 72,5 kilos, ce qui constitue réellement une magnifique performance.  Ceci s’applique à une vaste exploitation, comprenant 320 colonies productrices et 500 nuclei destinés à la production de reines.  Les nuclei sont isolés dans une zone spéciale où ils passent l’hiver.

Améliorations techniques

Frère Adam est avant tout un apiculteur pratique qui a trouvé un grand nombre d’améliorations techniques dans l’art de soigner les abeilles.  Sa méthode d’introduction de reines est bien connue.

A Buckfast, énormément de travail est épargné par l’emploi de cire gaufrée armée.  Les fils ne sont pas tendus dans le cadre et l’insertion est accomplie d’une manière rapide et simple.

Il a inventé un nourrisseur très efficace : c’est le couvre-cadres des ruches qui sert de vaste récipient, muni d’un trou au centre.  Cet arrangement intelligent facilite d’une part l’introduction d’une quantité appréciable de sirop et d’autre part permet aux abeilles de se nourrir sur une surface plus grande.  Cela réduit le temps du nourrissage et supprime un travail inutile.

Il n’est pas nécessaire de se pencher sur les ruches, celles-ci se trouvent placées sur une base élevée, à bonne hauteur pour les manipulations.

Des copeaux de rabotage sont utilisés comme combustible pour l’enfumoir.  En raison de l’humidité du climat, les copeaux sont humides et donnent donc beaucoup de fumée.

Les 320 colonies sont réparties sur dix emplacements différents.  Après la saison du trèfle, elles sont transportées sur la lande pour butiner la bruyère.

Comment sortir de l’impasse de la maladie ?

Je cite l’opinion de Frère Adam dans le British Bee Journal de 1954 :

« … dans certains milieux, on place sa confiance, dans une grande mesure, dans l’emploi des antibiotiques et autres cures pour le traitement des maladies du couvain.  En ma qualité d’apiculteur pratique, je n’ai jamais eu foi en n’importe quelle méthode particulière de cure.  Je me suis toujours fié entièrement aux pouvoirs, héréditaires ou provoqués, de résistance à la maladie.  Je suis convaincu que l’un des résultats futurs les plus marquants sera la production d’une race d’abeilles réfractaire à la maladie.  Nous devons, en tout état de cause, faire la différence entre résistance et immunité.  L’immunité c’est l’idéal, mais la résistance servira parfaitement le but que nous poursuivons ».

Citant sa conférence à Hanovre en 1953 : « L’un des buts principaux en apiculture est le développement de races résistant à la maladie, ce qui permettra l’élimination de tous les maux résultant de l’emploi de différentes cures.  Le principal désavantage des mesures médicinales est que, quoiqu’elles arrêtent la maladie, leur influence n’est pas durable.  Une fois qu’un remède a été appliqué, il doit être continué, faute de quoi une colonie une fois infectée pourra éventuellement l’être encore ».

Original : In Gleanings in Bee Culture,
Oct. 1959
paru en français dans
La Belgique Apicole,
24(1) 1960 p 16-19
Avec leur permission.
par le Dr A. Eytan, Israël,
Adaptation française par
Ngonga